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Le poil à gratter… 
Lettre d’information de Cynorrhodon – FALDAC  
www.cynorrhodon.org  


N° 151 – avril 2025  

  ISSN 2264-0363
 

Brigit Ber – Bleu comme une orange













Os 0549, 2024




Hybride 0659, 2024




Tronc 6782, 2024




Corne de cerf 0618 (diptyque), 2024




Coussin de requin, 2023




Peigne de Vénus 2831, 2023




Racines 7474, 2023




Algue 5612, 2023




Mégalithe, 2023
Exposition Lieux Mouvants, Lanrivain




Fleur gelée 0604, 2023




Hybride 3533, 2023




Racine 7474, 2023




Corail 4282, 2022




Hybride, 2021




Oursin, 2019




Coussin de requin 1363, 2019

La terre est bleue comme une orange
Jamais une erreur les mots ne mentent pas
Ils ne vous donnent plus à chanter
Au tour des baisers de s’entendre

Paul Éluard[1]

Brigit Ber, née en région parisienne, réside depuis de nombreuses années dans le Trégor. Elle est diplômée en arts appliqués mais s’est très rapidement muée en plasticienne. Dans ses œuvres, elle met en œuvre une multitude de techniques de création ou de reproduction d’images, fixes ou mobiles : photographie, vidéo, dessin, gravure… Pour ses images fixes, celles qui nous intéressent ici, elle procède elle-même au tirage, souvent en exemplaire unique, de photographies prises sur le vif ou de négatifs construits par assemblage manuel de plusieurs clichés. Pour ce faire elle recourt à des procédés artisanaux : héliogravure, ambrotype, cyanotype, anthotype… Dans tous les cas, sa démarche se traduit par une imbrication de ses gestes et d’images par des procédés simultanément anciens et contemporains. Son approche est ainsi profondément diachronique, faisant entrer en collision deux temporalités : celle d’images résolument de notre temps et celle de techniques tombées en désuétude. Sans vouloir minimiser l’importance du reste de sa production, je me cantonnerai, dans la présente notice, à sa pratique du cyanotype[2] par laquelle elle est aujourd’hui très largement connue et reconnue. Cette technique jouit d’ailleurs, depuis quelques années, d’un important regain d’intérêt[3].

     Les sujets de prédilection de Brigit Ber sont tirés de la nature, minérale, végétale ou animale, mais dans des cadrages et des rendus qui en modifient la perception, forçant le spectateur à plonger dans l’image résultante pour tenter d’en identifier le modèle : fleurs, os de seiche, racines, branches, mégalithes, algues, étoiles de mer, coquillages, coraux, oursins… Le doute subsiste cependant et d’autres interprétations, imprévisibles, peuvent toujours s’imposer. La collision temporelle précédemment évoquée se double donc d’une collision des sujets qui, dans les tirages d’une même série, voire au sein d’une seule image, hybrident un élément de mobilier, un verre, un bourgeon, un fossile, une méduse, une anémone de mer, un fragment de paysage et bien d’autres choses encore… Coexistent ainsi des éléments naturels et d’autres fabriqués de toutes pièces, sans que leurs contributions respectives soient immédiatement identifiables. Il en résulte une confusion des échelles, le regardeur hésitant, souvent sans arriver à se décider, à déterminer s’il s’agit du monde dans lequel il vit, du microcosme ou du macrocosme… Et les titres ne sont pas là pour l’aider à trancher. Ainsi le titre de l’œuvre Coussin de requin, 2023, élimine la première intuition, qui pousserait à y voir la trace de lèvres humaines laissées sur un verre, pour orienter la recherche de son sujet du côté des squales… Mauvaise piste menant à une impasse… Ce n’est qu’en consultant une encyclopédie que l’on découvre qu’il s’agit en fait d’une variété de corail des mers chaudes : Culcita schmideliana… Et il en est ainsi de plusieurs des autres productions de Brigit Ber…

     Plus généralement, en agrandissant certains éléments de ses clichés, en superposant des négatifs sur transparents, en bouleversant, en quelque sorte, l’ordre naturel des choses mais sans que cela soit immédiatement perceptible, notre artiste recompose un univers qui peut être, simultanément ou successivement, au fur et à mesure que le regardeur le pénètre du regard, onirique, fantastique ou terrifiant… mais toujours très personnel… Elle déclare : « je cherche à retrouver le geste dans l’image, et l’image devient geste[4] » ou encore : « j’utilise des photos tirées sur des transparents. Je m’amuse à faire un objet fabriqué, que je travaille sur sa forme, je recompose des paysages[5]. » Ces derniers résultent d’un mélange, d’un métissage qui ne peut être que contre nature mais savamment dosé, des mondes humides, végétaux et minéraux avec des traces d’une activité humaine, le tout projeté sur une surface apparemment plane mais dans laquelle l’observateur perçoit une réelle profondeur. Profondeur optique, évidemment, mais, aussi et surtout, profondeur de la réflexion que ces images suscitent.

     Cette intériorité, cette épaisseur réflexive tient au fait que nous sommes face à de véritables vanités, non pas dans le mouvement par lequel Blaise Pascal condamnait la plupart des activités picturales – « Quelle vanité que la peinture, qui attire l’admiration par la ressemblance des choses dont on n’admire pas les originaux[6] ! » – mais dans celui du biblique vanitas vanitatum omnia vanitas[7]. Les cyanotypes de Brigit Ber se lisent comme des représentations allégoriques de la fragilité, du caractère éphémère et de l’impermanence de toutes choses, de la précarité de la vie animale ou humaine. Bien plus que des natures mortes évoquant, dans des intérieurs bourgeois, les cinq sens ou figurant des sabliers ou des crânes humains posés sur des tables ou sur des étagères, les tests d’oursins, les branchages morts, les souches d’arbres arrachés, les os de seiche, les restes de cnidaires… mais aussi les mégalithes et d’autres traces d’anciennes activités humaines sont, chez notre artiste, autant de memento mori.

     Ils sont beaucoup plus parlants aux regardeurs de notre temps, sensibilisés aux enjeux écologiques, que le sont les innombrables peintures classiques sur ce thème. Ce sont des natures mortes, qui nous incitent à nous interroger sur la finitude des choses et sur l’inanité de nos prétentions. Même si, je l’ai déjà évoqué, l’identification formelle de ce qui est figuré n’est pas obvie, l’immobilité figée[8], parfois désespérante, de ce qui nous est donné à voir suscite une réflexion sur la condition humaine : du liquide amniotique aux ossements desséchés… Et la reconnaissance des sujets, si le regardeur finit par y arriver, ne fait que confirmer cette sensation latente…

     Brigit Ber accepte – privilégie même – les accidents dans ses manipulations et leurs effets souvent déconcertants, au point de parfois remettre en cause le résultat escompté de son projet initial. Ici une tache bleue inattendue, là une traînée ou une coulure incongrue, ailleurs une apparente solution de continuité dans les structures figurées… Ces imperfections, admises et assumées, deviennent même, dans beaucoup de ses œuvres, des moteurs de leur inventivité, des facteurs clés de leur originalité et de la fascination qu’elles suscitent. On pense à Mark Twain qui déclarait : « Le nom du plus grand des inventeurs : accident[9]. » Nous ne sommes cependant pas dans le domaine de l’aléatoire puisque ces défauts interviennent dans un processus minutieusement préparé. De ce point de vue, notre artiste ferait aussi sienne la position de John Ruskin : « La qualité n’est jamais un accident ; c’est toujours le résultat d’un effort intelligent[10]. » Un propos de Jean Rostand me semble bien résumer sa démarche : « De ce que le naturel, par accident, fait de l’art, il ne s’ensuit nullement que l’art doive faire du naturel[11]. »

     D’aucuns ont pu évoquer la notion de sérendipité[12] pour décrire ces trouvailles accidentelles. Il y a peut-être un peu de cela, dans la démarche de Brigit Ber, mais pas au point de la faire lâcher prise sur le processus et sur son résultat ni de se laisser entraîner dans des actions non maîtrisées, échappant à son contrôle. Plutôt qu’essayer de masquer les inévitables aléas d’un procédé requérant un grand nombre d’opérations manuelles, chacune sujette à des imprévus, elle préfère en tirer profit pour enrichir ses œuvres et, partant, révéler un peu plus de sa personnalité. Solution de bon sens, après tout, car il faut se rendre à l’évidence d’un propos de Picasso : « Les accidents, essayer de les éviter… c’est impossible. Ce qui est accidentel révèle l’homme[13]. »

     Ainsi, chez Brigit Ber, le geste et le processus créateurs prennent le pas sur l’image résultante et sur son objet, ouvrant grand la porte aux hasards de circonstance. Ce qui est donné à voir est donc bien plus qu’une simple image. C’est la traduction d’une expérience vitale et de ses aléas, imbriquant des temporalités, des lieux et des procédés d’une grande diversité. Les découvertes accidentelles de Brigit Ber ne sont finalement que la contrepartie d’une priorité donnée à un geste répété et à des procédures de fabrication plutôt qu’à l’obtention d’un produit qui, bien que répondant à une idée initiale précise, reste toujours partiellement imprévisible. Et c’est tant mieux…

     Enfin, faut-il le rappeler, les cyanotypes de Brigit Ber sont, comme tous les cyanotypes, bleus… Un bleu difficilement définissable… Rien à voir, en tout cas, malgré son nom, avec le cyan, la couleur complémentaire du rouge. Il est plus dense et plus profond, surtout quand, comme chez notre artiste, il s’associe avec un univers humide : aquatique, marin, amniotique… Ce n’est pas l’IKB d’Yves Klein, trop méditerranéen et incompatible avec l’aspect, qui peut changer d’une minute à l’autre, de la mer trégoroise. Il est intense, puissant, froid et a la capacité de susciter cette forme d’introspection qu’évoque Malcolm de Chazal : « Le bleu est une plongée inconsciente interminable[14] » ou encore Guy de Maupassant : « […] l’âme a la couleur du regard. L’âme bleue seule porte en elle du rêve, elle a pris son azur aux flots et à l’espace[15]. »

     C’est bien de cela dont il s’agit chez notre artiste : flots, espace, plongée… Il faut aussi avoir en tête que ce bleu, dit de Prusse, résulte du virage du rouge du ferricyanure de potassium au bleu du ferrocyanure ferrique. Peut-être peut-on y voir la matérialisation de ce bleu cerise[16] cher aux chasseurs alpins… Ou bien encore, dans le procédé plus récent de création de cyanotypes, ce passage de l’orange du dichromate d’ammonium au bleu qui donne raison aux vers de Paul Éluard en exergue au présent texte.

Louis Doucet, septembre 2024



[1] In L’amour la Poésie, 1929.
[2] Le cyanotype, procédé photographique négatif monochrome de contact, a été inventé, en 1842, par John Herschel, astronome, philosophe, physicien, météorologue et pionnier de la photographie britannique, dans le cadre de ses recherches sur les sels de fer. Ce procédé est basé sur la sensibilité à la lumière des sels ferriques, qui deviennent bleus lorsqu’ils sont exposés aux rayons ultraviolets (originellement le soleil) et lavés à l’eau. Il comporte cinq étapes :

  1. préparation d’un mélange en volumes égaux d’une solution à 8 % de ferricyanure de potassium – K3Fe(CN)6 – et d’une solution à 20 % de citrate d’ammonium ferrique C6H5+4yFexNyO7 lequel n’est autre que l’additif alimentaire E381, utilisé comme régulateur de pH ;
  2. enduction, au pinceau, d’un support, généralement un papier fort mais ce peut aussi être un tissu ou tout autre support se prêtant à cet exercice, avec le mélange chimique précédemment obtenu, puis laissé à sécher dans l’obscurité ;
  3. une fois le matériau sensibilisé sec, exposition aux rayons ultraviolets (soleil ou source artificielle), les zones exposées à la lumière devenant bleues et les zones protégées par le négatif restant blanches ;
  4. après une exposition suffisante, de quelques minutes à une demi-heure, développement, par rinçage à l’eau, qui fixe le bleu de Prusse sur le matériau ;
  5. séchage du tirage unique ainsi obtenu.
Un procédé alternatif, plus récent et donnant le même résultat, consiste à utiliser comme solution photosensible un mélange d’hexacyanoferrate de potassium C6FeK4N6 et de dichromate d’ammonium (NH4)2Cr2O7. La solution de révélation est alors une solution de chlorure de fer III FeCl3. Pour le reste le procédé est similaire à la méthode traditionnelle.
[3] On se référera notamment au livre Cyanotypes – Appropriations contemporaines aux éditions Artfolage, 2022, présentant des travaux d’Eva Aurich, Claude Baudin, Brigit Ber, Ariane Canta-Brejnik, Jean-François Cholley, Nicole Chuard, Maëlle de Coux, Richard Deasington, Magdéleine Ferru, Fabienne Forel, Aline Héau, Berta Ibanez, Bénédicte Klène, Hélène Lamarche, Daniela Lorini, Gery Oth et Reiny Rizzi, Thomas Paquet.
[4] Site de l’artiste : www.brigitber.com.
[5] Ibidem.
[6] X-XXXI dans publication posthume de 1669 des Pensées, VII-31 dans l’édition d’Ernest Havet de 1852.
[7] « Vanité des vanités et tout est vanité » in Ecclesiastes 1.2.
[8] Nature morte, en français. L’allemand, avec Stillleben, et l’anglais, avec still life, insistent sur l’immobilité de ces compositions et non sur le fait qu’elles figurent des choses mortes.
[9] “Name the greatest of all the inventors. Accident.” in Notebook XXXIII, publication posthume, 1935.
[10] “Quality is never an accident; it is always the result of intelligent effort”, remarque souvent citée mais ne figurant pas dans le recueil des œuvres complètes de John Ruskin.
[11] In Pensées d’un biologiste, 1939.
[12] Dans les notes de l’Académie française, en 2014 : « Depuis une dizaine d’années, le nom sérendipité est entré dans l’usage en français. Il s’agit d’un emprunt de l’anglais serendipity, “don de faire par hasard des découvertes fructueuses”, un mot créé par Horace Walpole et qu’il avait tiré d’un conte oriental, Les Trois Princes de Serendip (1754), Serendip ou Serendib étant une ancienne transcription anglaise de Sri Lanka […] Aujourd’hui le nom sérendipité s’emploie fréquemment dans le monde scientifique pour désigner une forme de disponibilité intellectuelle, qui permet de tirer de riches enseignements d’une trouvaille inopinée ou d’une erreur. On parlera ainsi de sérendipité à propos d’un brillant mais négligent chercheur écossais qui avait la réputation d’oublier régulièrement ses boîtes à culture, et qui, rentrant de vacances, eut la surprise de découvrir dans l’une d’elles qu’une forme de moisissure avait empêché le développement des bactéries. Alexander Fleming venait de découvrir la pénicilline. »
[13] Cité par Pierre Cabanne in Le Siècle de Picasso, 1975.
[14] In Sens plastique, 1948.
[15] Un cas de divorce in L’inutile beauté, 1890.
[16] De l’époque où Napoléon III voulut imposer le port du pantalon garance dans les armées françaises. Cette décision provoqua un mécontentement au sein des chasseurs à pied, d’où l’interdiction, chez eux, depuis cette époque, de prononcer le mot rouge

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