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Le poil à gratter… 
Lettre d’information de Cynorrhodon – FALDAC  
www.cynorrhodon.org  


N° 143 – août 2024  

  ISSN 2264-0363
 

Vogel Apacheta









Condor des Andes





Pachamama give more, 2021



22 rue Eugène Varlin, 2021



Enter and vortex, 2021



Promenade nocturne, 2021



A todos lados, 2021



Dégoulinante, 2021



355, 2021



356, 2021



Gracias por el rosa, 2022



Iluminación Marka, 2023



Iluminación Marka, 2023



Iluminación Marka, 2023

Tout aventurier est né d’un mythomane.
André Malraux[1]

Qui est Vogel Apacheta, cette plasticienne qui produisit des œuvres sous les noms de Johanna Pacheco Surriable, son identité pour l’état civil, Johanna, un pseudonyme brièvement utilisé, dont la graphie évoque une allégeance anarchiste, ou celui qu’elle utilise aujourd’hui ? Ce que nous savons, c’est qu’un apacheta, issu du mot apachita des langues quechua et aymara[2], signifie lieu de repos, souvent matérialisé par un monticule de pierres entassées de forme conique. Ces balises ont été créées, plus particulièrement dans les passages périlleux des chemins de la Cordillère des Andes[3], par les populations indigènes comme offrande à Pachamama, la déesse inca de la fertilité, ou à d’autres déités locales. Il désigne aussi, par extension, les points culminants des chaînes andines. Quant à Vogel, c’est le mot allemand qui signifie oiseau mais peut aussi, dans certaines expressions, désigner familièrement un personnage considéré comme douteux, un voyou (ein schräger Vogel, un drôle d’oiseau) ou un gauchiste (ein linker Vogel)…

     Vogel Apacheta est effectivement née dans les Andes, à La Paz, en Bolivie, donc à 3 600 mètres d’altitude. Sa peinture, vivement colorée, joyeuse et animée doit évidemment à ses origines latino-américaines et à l’atmosphère quelque peu raréfiée des hauteurs andines. On y retrouve le chaud et le froid des couleurs de son enfance, entre soleil et glaciers, mais revus à l’aune d’une expression qui s’infléchit lors de sa rencontre avec les grands peintres occidentaux, découverts, autrement que par les reproductions dans des livres, assez tardivement lors de sa formation, conclue au Mans et à Berlin. C’est lors de ce séjour à Berlin qu’elle a probablement décidé de devenir aussi Vogel… dans les deux sens du mot…

     L’art de Vogel Apacheta combine donc un ancrage dans les traditions et influences latino-américaines, notamment dans les mythes des achachachilas, ces ancêtres qui protègent les Aymaras, originaires de la région du lac Titicaca au croisement de la Bolivie, du Pérou, de l’Argentine et du Chili, avec des pulsions libertaires, voire anarchisantes, développées au contact de l’Europe occidentale. Ce drôle d’oiseau ne serait-il pas le condor des Andes (vultur gryphus), le plus grand rapace du monde, vivant sur l’altiplano bolivien, région de naissance de notre artiste, volatile pacifique, malgré son aspect redoutable, dont, particularité rare dans la famille des vautours, la femelle est plus petite que le mâle ? Tout porte à le croire…

     L’artiste, qui aimait, dans son adolescence, se définir comme une mythomane, invente et raconte des histoires, mêlant réalité et imagination, dans lesquelles elle est partie prenante, voire le personnage principal. C’est donc en aventurière qu’il faut considérer Vogel Apacheta si l’on en croit les mots figurant en exergue de ce texte, mis, par Malraux, dans la bouche d’un de ses héros. Tout procès en narcissisme peut donc être évacué. Bien au contraire, nous sommes confrontés aux travaux d’une plasticienne qui expérimente, s’aventure, sans trop se soucier de ce que les spectateurs de ses œuvres en penseront… Une artiste qui cherche, se cherche et nous entraîne inexorablement dans le tourbillon de sa démarche… Il en résulte de grandes toiles libres, peintes au sol de son atelier, qui, comme chez Joan Mitchell, n’entrent dans aucune des classifications préétablies par les manuels – toujours simplistes – d’histoire de l’art. Elle n’est ni abstraite ni figurative… Du moins en première approche…

     La peinture de Vogel Apacheta est narrative, sans aucun doute, mais relate des histoires dont elle seule connaît la trame et qu’elle ne nous livre que par bribes, par des indices souvent indiscernables, laissant le regardeur construire ses propres scénarios, devenir mythomane à son tour… Malraux, toujours lui, n’a-t-il pas écrit : « Les grands rêves poussent les hommes aux grandes actions et aux mythomanies épiques[4]. » L’exercice peut ainsi, selon les propos de l’artiste, se muer en outil de découverte du monde, en épopée initiatique, avec pour objectif « d’éprouver le réel de nos sociétés, de réfléchir à son avenir ou à sa non-existence[5] ». Et d’ajouter : « Je suis curieuse de voir habiter l’individu dans son espace, son environnement avec ses perturbations du quotidien et ses mystères. Je pense qu’il y a une agitation poétique qui se crée entre les surfaces réelles et invisibles, ces espaces que l’on traverse sans s’en apercevoir, nous transformant et nous remplissant d’une mémoire[6]. » Cependant, cette forme de mémoire n’atténue pas la couleur, contrairement à ce que le poète José Carlos Llop constate au sujet du processus mémoriel : « La mémoire, comme le rêve, dilue les couleurs. La mémoire est comme une photographie exposée au soleil[7]. » À l’opposé, chez Vogel Apacheta, les couleurs sont exacerbées, saturées. Elles magnifient la lumière, faisant écho au point de vue de Jean Guitton : « La couleur est la gloire de la lumière[8]. »

     Ce qui se dilue, se dissout, chez Vogel Apacheta, c’est la forme. On devine ses sources picturales dans la végétation et les paysages de son pays natal ou d’ailleurs. Elles resurgissent sous forme de fragments qui auraient été déstructurés, déconstruits[9], par un dispositif semblable à celui d’un kaléidoscope, avec des effets de réflexions en miroir, des lignes de clivages, des pliages, des fausses symétries, des collages et des superpositions… Nous sommes ici dans un espace de pleine liberté, dans lequel la question de la figuration ou de la non-figuration ne se pose pas. Les peintures qui en résultent entrent ainsi en résonance avec un autre propos de Malraux qui écrivait : « Le conflit entre figuratifs et non-figuratifs n’a d’importance que par son enjeu, qui fut la liberté du peintre (Pollock commence à Olympia…), fût-elle la liberté de trouver de nouvelles figurations. On ne l’abandonnera pas de sitôt[10]. »

     Les formes, outre des réminiscences végétales, peuvent traduire graphiquement des itinéraires réels ou fantasmés, des éléments architecturaux, des objets de l’environnement quotidien, des petits riens sans importance empruntés à la vie de tous les jours, abordés de façon factuelle ou avec un brin de révolte ou de folie. La couleur, toujours très présente, explose et projette ces lignes et surfaces dans un espace mis en abyme, comme Yves Bonnefoy le déclare : « La couleur n’est-elle pas là pour jeter d’un coup toute sa profondeur dans le discours du tableau[11] ? » Souvenirs de son enfance andine ou notes relevées dans l’espace urbain de l’Europe occidentale, mélange des deux ou effets de synesthésies, comme nous le verrons, tout est bon pour faire ressentir le chaud et le froid, la sous-jacence d’un geste incisif qui réveille, interpelle ou fait rêver le spectateur sans, pour autant, imposer une lecture ou une interprétation univoque. Interrogation d’un inconnu, celui de l’artiste et celui du regardeur… L’artiste, dans son enfance au pied des cimes, ne se posait-elle pas la question : qu’y a-t-il derrière la montagne ? Au regardeur de ses peintures de répondre…

     Plus récemment, Vogel Apacheta s’est mise à enregistrer des sons lors de ses trajets quotidiens ou de ses déplacements occasionnels. Elle capture des bruits dans des espaces acoustiquement saturés, superpositions ou maillages de bribes de conversations intenses ou anodines, de fragments d’annonces dans les gares ou dans les aéroports, de vrombissements de véhicules motorisés, d’éclats sonores de fêtes foraines… Revenue en atelier, elle utilise ces enregistrements comme point de départ pour ses peintures ou ses dessins, voire pour des projets d’écriture ou de vidéos. Cette démarche synesthésique s’inscrit dans la ligne des vers de Baudelaire :

         La nature est un temple où de vivants piliers
         Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
         L’homme y passe à travers des forêts de symboles
         Qui l’observent avec des regards familiers.

         Comme de longs échos qui de loin se confondent
         Dans une ténébreuse et profonde unité,
         Vaste comme la nuit et comme la clarté,
         Les parfums, les couleurs et les sons se répondent[12].

Plusieurs artistes ont eu recours aux synesthésies. L’exemple le plus connu est le sonnet Voyelles, 1871, de Rimbaud. On les retrouve aussi dans la musique de Messiaen, transposant ses visions colorées en accords musicaux. Chez Scriabine, avec son clavier à lumières, ce sont les notes de la partition de son Prométhée ou le Poème du feu, 1908-1910, qui sont associées à des couleurs. La Klangfarbenmelodie de Schönberg, qui fut aussi peintre, Webern et Berg confère des colorations aux timbres instrumentaux de certaines de leurs compositions… Pour ne citer que quelques exemples… En revanche, associer des couleurs à des sonorités non musicales, à des bruits banals, reste une démarche jusqu’à présent inédite…

     Et Vogel Apacheta n’a pas fini de nous surprendre…

Louis Doucet, janvier 2024



[1] In La Voix royale, 1930.
[2] Deux de quarante langues officielles de l’État plurinational de Bolivie.
[3] Ce que les alpinistes désignent sous le nom de cairn, sans connotation religieuse ni superstitieuse, comme point de repère ou pour marquer leur passage.
[4] In Le miroir des limbes II – La corde et les souris, 1976.
[5] In portfolio de l’artiste, 2023.
[6] Ibidem.
[7] In Háblame del tercer hombre, 2001.
[8] In Mon testament philosophique, 1999.
[9] Dans le sens derridien de ce terme : recherche de la signification d’une proposition par analyse de la différence (différance) entre les formes (morphèmes) utilisées et les choses qu’elles dénotent.
[10] In Les Voix du silence – Le Musée Imaginaire, 1951.
[11] In Le Monde de l’Éducation, septembre 1999.
[12] In Les Fleurs du Mal, 1857.


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