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Le poil à gratter… 
Lettre d’information de Cynorrhodon – FALDAC  
www.cynorrhodon.org  


N° 108 – septembre 2021  

  ISSN 2264-0363
 

La Nature chez Guillaume Guintrand








Guillaume Guintrand
Sans titre, 2012



Ellsworth Kelly
Leaves, 1997



Fernand Léger
Tronc d'arbre, 1928



Fernand Léger
Troncs d'arbres, 1931



Guillaume Guintrand
Sans titre, 2012



Guillaume Guintrand
Sans titre, 2012



Guillaume Guintrand
Sans titre, 2012



Guillaume Guintrand
Sans titre, 2012



Abbaye de Koad Malouen, Kerpert


Guillaume Guintrand
Sans titre, 2020



Affleurements rocheux précambriens, monts du Méné


Affleurements rocheux précambriens, Erquy


Nicolas de Staël
Agrigente, 1953


L’art abstrait témoigne que l’homme n’a rien à dire, rien à exprimer ni à fixer, s’il se coupe du monde tel que le capte le regard d’un enfant.

François Mauriac[1]

Parler de figuration de la nature pour un artiste qui expose au salon des Réalités Nouvelles, le salon annuel de l’art abstrait[2], depuis 1946, relève apparemment du paradoxe. Le travail de Guillaume Guintrand serait-il figuratif-abstrait, apparent oxymore que l’on retrouve çà et là dans les annonces de croûtes proposées à la vente, par des peintres du dimanche, sur eBay ? La réponse n’est pas aussi évidente qu’il peut le paraître au premier abord.

     Avant tout, il faut évacuer l’idée du cantonnement d’un plasticien dans un de ces deux modes d’expression. Pour ne citer qu’un exemple, Ellsworth Kelly, dont l’abstraction géométrique est d’une extrême radicalité, nous a laissé de splendides feuilles de dessins de plantes et de végétations. C’est que, comme Guillaume Guintrand, il ne fait pas partie de ces artistes, stigmatisés par Mauriac, qui se sont coupés du monde et n’ont, partant, rien à dire ni à exprimer. De même, un peintre comme Fernand Léger, trop facilement considéré, à ses débuts, comme mécaniste ou urbaniste, a produit, au tournant des années 1920 et 1930, de remarquables séries de dessins de troncs d’arbres.

     La différence essentielle entre ces artistes et Guillaume Guintrand tient cependant à ce que ce dernier combine les deux registres d’expression dans une même œuvre. Il superpose ou juxtapose donc – dans des polyptiques réels ou simulés, plus ou moins modulables – des structures orthogonales vivement colorées et des figurations organiques, le plus souvent végétales, parfois minérales. Le motif récurrent le plus fréquent est celui de branchages, dessinés d’un trait acéré, avec des ombres marquées, dont la parenté avec les dessins de Léger, mentionnés plus haut, me semble évidente.

     La structure géométrique des toiles de Guillaume Guintrand est probablement inspirée par la façade de l’abbaye Notre-Dame de Koad Malouen, à Kerpert, qui se déploie juste à côté de sa demeure, de son atelier et de la galerie associative qu’il gère. Cette façade se dresse seule, presque fantomatique, les bâtiments conventuels ayant été transformés en carrière de pierres pendant la Révolution française. Elle affiche donc la frontalité et la planéité d’une toile de fond de théâtre, avec les motifs réguliers d’une rigoureuse architecture du XVIIIe siècle et des trouées de ciel ou de verdure à travers le vide des anciennes croisées. Il s’agit, en quelque sorte, du négatif des toiles de notre artiste : le végétal et le naturel se situent derrière et non devant le structuré, le géométrique, bâti de mains d’hommes… Encore que, parfois, sous un certain angle de vue, la branche d’un arbre peut s’imposer devant la façade.

     Les branches, sans feuilles, dont on ne saurait trop dire si elles sont mortes ou vivantes, affirment une présence forte, exprimant une forme de refus de la fatalité de la réification. On pense au vers d’Éluard : « L’élan de l’arbre muet qui tient tête à la terre.[3] » Bachelard, de son côté, justifiait ce besoin de résistance en déclarant : « Nous comprenons la Nature en lui résistant.[4] » C’est ce que fait le peintre avec ces branchages à la structure fortement attestée. Mais aussi, plus profondément, Guillaume Guintrand veut leur donner une histoire, leur histoire, en les inscrivant dans une trajectoire de destinée et d’artefacts humains, dans de l’inorganique, car, comme l’écrit Hegel : « la nature organique n’a pas d’histoire.[5] »

     Il convient, cependant, de dissiper un malentendu trop répandu. Les deux types de représentation – figurative et non-figurative – sont concrets. En effet, Theo van Doesburg clarifie les choses : « peinture concrète et non abstraite, parce que rien n’est plus concret, plus réel qu’une ligne, qu’une couleur, qu’une surface.[6] » Tandis que, pour lui et pour beaucoup d’autres, la figuration d’un sujet réel n’est qu’une abstraction de ce sujet : du figuratif-abstrait… Par exemple, Paul Klee : « L’art ne reproduit pas le visible ; il rend visible. Et le domaine graphique, de par sa nature même, pousse à bon droit aisément à l’abstraction.[7] » Alors que pour Bachelard : « L’abstraction est un devoir, le devoir scientifique, la possession enfin épurée de la pensée du monde ![8] »

     Fermons ici cette parenthèse et revenons à Guillaume Guintrand.

     Ses confrontations d’images détournées du monde réel, de fragments de nature collectés avec des séquences ou des rythmes colorés créés en atelier génèrent l’illusion d’une réalité nouvelle, offerte au spectateur comme proposition d’un univers à identifier, à déchiffrer, à s’approprier, à compléter, à habiter… Il en résulte une cartographie d’un monde captivant, résultant d’oppositions et de conflits dialectiques entre figuration et non-figuration, entre concret et abstrait, entre organique et inanimé, entre matérialité et illusion, entre rigueur et liberté, entre fixité et souplesse, entre réalité et fiction, entre géométrie et flottement, entre orthogonalité et sinuosité… Bref, comme dans notre monde de tous les jours… L’artiste résume ses intentions et son propos en ces termes : « Plus que jamais dans ma peinture je n’ai tant cherché à questionner le regardeur pour tenter de le faire douter. Lui offrir des certitudes pour qu’il puisse les nommer car rien n’est plus confortable que le savoir. Art concret, figuratif ou encore… abstrait. Identifier nous rassure, simplement.[9] »

     Dans ses peintures les plus récentes, ce Provençal devenu Breton d’adoption s’affranchit de la figuration directe d’éléments végétaux ou minéraux mais n’en reste pas moins ancré dans une forme de paysagisme abstrait. Celui-ci se situe, cependant, aux antipodes de la gestualité quasiment éjaculatoire – telle celle d’une Joan Mitchell – généralement associée à ce mouvement pictural. Guillaume Guintrand reste le cartographe réfléchi, méthodique, raisonné et raisonnable d’une nature revisitée. Dans son atelier-laboratoire, lentement et méticuleusement, il s’attelle à assembler des modules, fragments de paysages choisis, collectés et réinventés. Il exerce une forme de défrichage-déchiffrage de territoires connus, reconnaissables pour qui veut bien en faire l’effort, mais radicalement transfigurés.

     La partie supérieure, souvent monochrome, occupe la plus grande partie de la surface du subjectile, évoquant un ciel chargé de lourds présages. Qu’importe qu’il soit rouge, orange ou d’un bleu improbable… Il pèse et écrase de sa présence le sujet relégué en bas du plan. Celui-ci, réduit à des lignes de clivage, blanches sur fond noir, globalement horizontales, évoque les vagues d’une mer sévère mais prévisible, comme l’est celle des côtes de la Bretagne du nord. J’y vois, pour ma part, une dimension plus tectonique. Ces stries me renvoient aux affleurements rocheux précambriens des monts du Mené, comme on peut les voir aux environs du col de La Clarté – Ode ar Sklaerded –, 280 m d’altitude, un des quatre cols des Côtes-d’Armor[10], sur la commune de Saint-Gilles-Pligeaux, des deux côtés de la route qui mène de Kerpert à Quintin. Peut-être aussi, plus au nord, en bordure de mer, ces mêmes stratifications géologiques à Erquy devant une mer qui se confond avec un ciel dont la hauteur rend l’humain bien petit…

     Plus ou moins consciemment s’établit une concordance avec la série des Agrigente de Nicolas de Staël, transposée sous une latitude plus septentrionale, avec la mutation de la palette rendue nécessaire par cette migration des rives de la Méditerranée vers celles de la Manche... Un parallèle manifeste avec la migration de l’artiste de l’arrière-pays varois vers celui des Côtes d’Armor…

Louis Doucet, janvier 2021



[1] In Nouveaux mémoires intérieurs, 1964.
[2] On devrait plutôt dire non-figuratif.
[3] In Les Mains libres, 1937, accompagnant un dessin de Man Ray intitulé Plante-aux-oiseaux.
[4] In La formation de l’esprit scientifique, 1938.
[5] „Aber die organische Natur hat keine Geschichte“, in Phänomenologie des Geistes, 1807.
[6] Dans l’unique numéro de sa revue Art Concret, 1930.
[7] In Théorie de l’Art Moderne, 1924, publié de façon posthume en 1945.
[8] In La Formation de l’esprit scientifique, 1938.
[9] In Ouest-France, 5 mai 2013.
[10] Eh oui, contre toute attente, il y a bien des cols dans les Côtes-d’Armor, dans la chaîne des monts du Mené, tautologie en langue gallo car menez signifie, en breton, mont ou montagne. Outre celui de La Clarté, ceux de Lanfains, 322 m, entre Lanfains et Quintin, de Roc’h Chlas Vihan, 290 m, entre Kerien et Bourbriac, et de Marhalla, 284 m, entre Saint-Péver et Boqueho.

Un silence assourdissant…









Cet oxymore est utilisé, principalement dans le monde délétère de la politique politicienne, pour qualifier la conduite d’une personne ou d’un groupe de personnes, dont l’absence de toute déclaration étonne ou suscite des interrogations. Ce n’est pas le cas des Cent voix de Lawrence Vial, installation assemblant une centaine de têtes féminines, de toutes ethnies, de toutes dimensions, en terre cuite ou en plâtre, dans des postures sans équivoques de femmes qui parlent, qui crient… leurs têtes tournées vers le ciel, mais demeurent sans voix… donc inaudibles…

     Serait-on en face d’une manifestation de synesthésie, ce phénomène neurologique non pathologique par lequel deux ou plusieurs sens sont associés de manière durable, en l’occurrence la vue et l’ouïe qui, ici, se neutraliseraient mutuellement ? Un bruit silencieux ou un silence assourdissant ? Peu importe. Ce qui compte, c’est ce que toutes ces femmes bâillonnées sans bâillons veulent nous dire ?

     Pas nécessairement de la joie ni de l’euphorie… Une protestation, peut-être, relative à leur état, mais plus essentiellement le besoin incoercible de proclamer leur existence à la face d’un monde qui les ignore ou les infantilise. Être et se distinguer des autres, chanter, crier, revendiquer le droit à une identité, à une unicité, dans la pluralité de leurs sorts, de leurs conditions sociales et de leurs origines. Le droit à la différence.

Louis Doucet, mai 2021

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