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Le poil à gratter… 
Lettre d’information de Cynorrhodon – FALDAC  
www.cynorrhodon.org  


N° 85 – octobre 2019  

  ISSN 2264-0363
 

Danaé Monseigny







Scission, 2017



Non-dit, 2013



Déni, 2013



Témoignage, 2015



Circonvolution, 2016



L’aveu, 2018



Résilience, 20xx



Dessin Sans titre, 2019



Catharsis, 2013



Passation, 2017


    C’est par la peau qu’on fera rentrer la métaphysique dans les esprits.
Antonin Artaud[1]

Danaé Monseigny est une jeune artiste plasticienne polymorphe qui pratique le dessin, la vidéo, la sculpture, l’installation… Ses productions, en résonance intime avec notre monde contemporain, ses conflits, ses paradoxes et ses déchirements, veulent replacer l’humain au centre du débat, en faire un des paramètres incontournables de l’équation plastique. Plutôt que se mettre elle-même en scène, elle préfère attirer les spectateurs dans ses œuvres qui se comportent comme autant de pièges captivants, d’activateurs de mémoire, d’incubateurs de sentiments, de postures et de comportements futurs…

    Dans ses sculptures, Danaé Monseigny veut faire affleurer un passé, des souvenirs, des histoires oubliées… À cet effet, elle recourt à des procédés à caractère archéologique en s’intéressant à des enveloppes, à des cocons, à des cages ou à des suaires… tous métaphores d’une peau ou d’une carapace réclamant une (ré)incarnation dont l’initiative est laissée au spectateur. À lui de remplir ces précaires et fragiles réceptacles avec ses affects, ses rêves ou ses fantasmes. On peut aussi y voir un souci de repli ou, du moins, de refuge, de protection contre un environnement menaçant, une sorte de camouflage pour échapper au regard inquisiteur des tiers. Il en résulte une multitude de possibilités de visions – au moins autant que le nombre de regardeurs – d’un monde déformé par le prisme des expériences de chacun, mais construisant une histoire, un récit cohérent dont les clés sont laissées à celui qui regarde.

    Son imposante sculpture Scission, 2017, se présente au sol, satin rouge et vert, chaînes métalliques gainées de tissu vert et mouchetis d’abeilles brodées au fil d’or. Ce somptueux écrin déstabilise et questionne le spectateur, provoquant simultanément attirance et répulsion. Il est trop grand pour stocker des objets précieux, trop petit pour y loger un corps vivant, trop riche pour servir de sarcophage. Et les abeilles contrastent avec un ancrage terrestre matérialisé par les chaînes. De cette pièce, l’artiste écrit : « Ces trois éléments qui jonchent le sol, suggèrent un encensoir. Malgré leurs divisions, les liens subsistent. Cet ustensile liturgique interconfessionnel invite au rapprochement. Baignée par l’ombre du mystère, la rouge matrice s’offre aux abeilles comme un refuge. À la recherche d’un paradis perdu, elles demeurent le maillon constitutif d’une chaîne, d’un écosystème. »

    Non-dit, 2013, se présente comme une sorte de menhir noir, effilé vers le bas, doté, vers le haut, d’une sorte de bouche plus claire qui le fait ressembler à une gigantesque plante carnivore. À moins que ce ne soit l’œil d’un cyclope qui nous observerait en cachette. Ou bien encore la massue d’un géant qui l’aurait fichée en terre après avoir brisé le crâne d’un adversaire qui y aurait laissé des fragments de sa cervelle. Réalisé en kapok et molleton, il évoque, par sa structure, un cocon ou une chrysalide démesurés, à l’image d’un insecte qui ne peut être que menaçant. Très vite, le spectateur se convainc du vide intérieur. L’œuvre se mue alors en métaphore poignante de la solitude, de cette solitude dont Strindberg écrivait : « Au fond, c’est ça la solitude : s’envelopper dans le cocon de son âme, se faire chrysalide et attendre la métamorphose, car elle arrive toujours. »[2] Oui, le spectateur s’attend à une métamorphose mais a du mal à imaginer quel être va surgir de cette enveloppe dont les caractéristiques empruntent aux règnes minéral, végétal et animal… Et peut-être, après tout, il ne s’agit que de vide, d’un vide désespérant…

    Déni, 2013, évoque un univers marin, avec sa fausse flaque d’eau au sol, ses avirons dressés et sa corbeille en forme de couffin, au sommet, qui rappelle le nid-de-pie des anciens vaisseaux, d’où le matelot de vigie scrutait l’horizon. Mais ici, il n’est pas question d’observation, puisqu’un voile rouge la rend impraticable pour qui serait à l’intérieur et difficile à identifier pour le regardeur situé à l’extérieur. Contrairement aux œuvres évoquées précédemment, la construction paraît ici fragile, en équilibre précaire, prête à s’effondrer à la moindre secousse. Et pourtant, le spectateur est incité à s’installer mentalement à l’intérieur de la structure, entre les rames ou dans le panier en haut. Il serait alors enserré par une armure en bois et en mousseline, une sorte de carapace, de celles dont Queneau écrivait, en parlant du homard : « Vivre dans une carapace, autrement dit avoir ses os autour de soi, quel changement radical cela doit être dans la façon de comprendre la vie. »[3] Changement que l’artiste nous invite à réaliser dans un mouvement d’altérité, valeur qui tombe singulièrement en désuétude en notre époque de repli égoïste et matérialiste…

    Dans Témoignage, 2015, deux échasses en bois brûlé avoisinent un manteau posé au sol, rigide, réalisé en cuir, tissus et plumes de coq teintées. Les échasses évoquent la tentative avortée de l’envol d’un nouvel Icare qui se serait trop approché du soleil. Le manteau peut se lire comme un vêtement cérémonial d’une culture exotique, une armure ou une tenue de camouflage. Mais, quand il découvre qu’il est vide à son revers, c’est alors à l’image du couvercle d’un sarcophage que le spectateur est confronté. Peut-être encore plus, compte tenu de la texture animale de sa surface, à la mue d’un animal inconnu et improbable. Dans les deux cas, ce manteau se pose donc en métaphore de la vie après la mort, dans l’esprit de ce que Nietzsche écrivait de la mue du serpent : « Le serpent qui ne peut changer de peau, meurt. Il en va de même des esprits que l’on empêche de changer d’opinion : ils cessent d’être esprit. »[4] Une fois de plus, Danaé Monseigny nous interpelle et nous force, au-delà d’une curiosité plus ou moins (mal)saine, à sortir de la contingence matérielle de notre propre écorce corporelle pour aller vers un ailleurs…

    Il faudrait aussi évoquer Circonvolution, 2016, maquette de cerveau humain, réalisée en tissu molletonné rose d’où jaillissent des cheveux blonds, L’aveu, 2018, cloche de verre sur un présentoir à pâtisserie couvrant une main réaliste émergeant d’un manchon de fourrure, Résilience, 2017, vitrine posée sur un guéridon en merisier figurant une chambre d’enfant contenant une mygale et des ailes de papillons… Autant de pièges ou de machines infernales nous incitant à sortir de nos limites et à nous projeter dans un inconnu… Dans un monde autre, reflet spéculaire des lacunes et des contraintes du nôtre…

    Les dessins de Danaé Monseigny, à l’encre et au lavis d’encre de Chine, sont dans le même registre que ses sculptures et installations. Les références à des objets connus y sont moins évidentes et souvent hybridées à d’autres, comme dans un cadavre exquis qui aurait été réalisé par une seule personne. Ils présentent une fausse symétrie verticale qui ramène à un corps ou à un visage, mais aussi, de façon peut-être encore plus explicite, à des organes génitaux ou à des entrailles. Le parallèle avec les écorchés des planches anatomiques des premiers temps de la médecine moderne s’impose parfois. Certains y verront de très baudelairiennes chevelures :

         Ô toison, moutonnant jusque sur l’encolure !
         Ô boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir !
         Extase ! Pour peupler ce soir l’alcôve obscure
         Des souvenirs dormant dans cette chevelure,
         Je la veux agiter dans l’air comme un mouchoir !
[5]

d’autres encore des figures de Méduse ou des toisons pubiennes… Ce qui est certain, c’est que leur érotisme est toujours latent…

    Tout comme dans ses sculptures, l’artiste nous invite à un acte de pénétration, de prise de possession d’un volume offert, d’une cavité à investir, mais qui s’y refuse et nous repousse : attraction et répulsion… Ses dessins nous laissent dans un entre-deux instable et indécis, sur cette pellicule, peau inframince, entre vie et artéfact. C’est un lieu de transition qui permet d’élargir notre horizon, comme Duchamp le signalait : « Je pense qu’au travers de l’inframince, il est possible d’aller de la seconde à la troisième dimension. »[6] Si ce n’est que, chez Danaé Monseigny, il s’agit d’un billet de passage de la troisième à la quatrième dimension, de l’espace matériel au temps psychique.

    Dans sa vidéo Catharsis, 2013, Danaé Monseigny, « à l’image du théâtre antique ou du psychodrame moderne, […] cherche à libérer des émotions fossiles. » Elle se plaît à citer Simonne Jacquemard et Jacques Brosse : « c’est au cœur des ténèbres que se façonne la lumière… »[7] En alternant des images de la peau nue, blanche, lisse, d’un modèle féminin et les pattes et mandibules, cuirassées, noires, et rugueuses d’un arthropode, elle fait remonter à la surface des frayeurs enfantines, des phobies inavouées. Nous sommes encore ici à la frontière de deux univers, frontière matérialisée par l’inframince de la chevelure et les mains gantées de noir. Il en est de même dans l’installation Passation, 2017, qui se présente comme un prie-Dieu dans lequel est intégré un écran vidéo diffusant un film en boucle. Un corps féminin nu y est lascivement ployé sous l’étreinte de la mue d’un serpent noir qui s’enracine dans le sol.

    Ce qui ressort comme point commun à toutes les œuvres de Danaé Monseigny, quel que soit leur médium, c’est l’importance de la surface qui fait frontière entre deux univers, celui de l’objet et celui du sujet qui le regarde. C’est cette peau qui donne à ses réalisations toute leur expressivité, qui fait langage, comme Barthes l’écrivait si joliment : « Le langage est une peau : je frotte mon langage contre l’autre. »[8] C’est par cette zone de friction que, si l’on en croit Artaud, la métaphysique finira bien par entrer dans nos esprits… Et le besoin est urgent dans notre monde obnubilé par la futilité…

Louis Doucet, juin 2019



[1] In Le théâtre et son double, 1938.
[2] In Seul, 1903.
[3] In Saint-Glinglin, 1948.
[4] In Aurore, 1881.
[5] La chevelure, in Les fleurs du mal, 1861.
[6] In Notes, vers 1930.
[7] In Orphée, ou l’initiation mystique, 1998.
[8] In Fragments d’un discours amoureux, 1977.

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