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Le poil à gratter… 
Lettre d’information de Cynorrhodon – FALDAC  
www.cynorrhodon.org  


N° 75 – décembre 2018  

  ISSN 2264-0363
 

Chantal Atelin – Traits et Volumes







Trait 37



Trait 46



Trait 37



Trait 57



Trait 77



Volume 12



Volume 26



Volume 34



Volume 40



Volume 55


De l’argile, nous faisons un pot, mais c’est le vide à l’intérieur qui retient ce que nous voulons.
Lao-Tseu[1]

Il est toujours difficile de parler ou de commenter les œuvres appartenant à la mouvance de l’abstraction géométrique ou construite. Elles ont une évidence qui défie tout discours et risque de pousser le critique, dépourvu de référence narrative, vers la tautologie, vers la simple description de formes géométriques, de leurs couleurs et de leurs positions relatives. Et pourtant, on a envie de s’exprimer au sujet des œuvres de Chantal Atelin, surtout de ses dernières productions, les Traits et les Volumes. Elles ont ceci de paradoxal que si, de toute évidence, elles s’inscrivent dans la descendance, féconde et toujours renouvelée, de l’art construit, on hésite à les qualifier : sont-ce des volumes, des sculptures, ou des dessins qui auraient acquis un nouveau degré de liberté et se développeraient dans l’espace ? Et ce n’est pas le seul paradoxe. On y relève, notamment, l’opposition entre la froide lourdeur de l’acier et le caractère léger et presque aérien de ses compositions, entre l’instabilité dynamique inhérente aux formes triangulaires et la surprenante stabilité de l’équilibre résultant de leur assemblage…

    Mais revenons au commencement.

    Chantal Atelin n’est pas une novice en matière de sculpture. Elle a longtemps réalisé des œuvres en utilisant des matériaux dits nobles – marbre, ardoise… –, influencée, entre autres, par Auguste Rodin, Germaine Richier, Marino Marini, Raoul Ubac, Jean Arp, Julio González, Claude Viseux, Anton Pevsner et son frère Naum Gabo, l’art cycladique, la sculpture primitive ibérique, les productions de l’Art Déco et les statuaires classique et baroque, cette dernière se manifestant notamment dans son intérêt pour le pli, héritage abstrait, revu à la mode de notre temps, du drapé traditionnel. Ce n’est que très progressivement que quelques caractéristiques essentielles ont émergé de ses efforts pour s’affranchir des influences des aînés et affirmer une personnalité unique, une originalité qui la distingue immédiatement dans le panorama de la sculpture de ce début de XXIe siècle : l’importance primordiale du vide, l’interpénétration de l’œuvre et de son espace environnant, la géométrisation des formes, ramenées à de simples triangles…

    Dans le débat de l’opposition dialectique entre dessin et volume, l’artiste nous apporte un premier élément de réponse en déclarant que sa recherche essentielle, après avoir, pendant des années, travaillé des matériaux compacts, est désormais celle de l’immatérialité… Une façon de renvoyer dos à dos les deux hypothèses, car ni la sculpture ni le dessin ne sont immatériels. À moins que l’artiste ne veuille simplement nous dire que ce qui importe n’est pas tant la structure que le volume qu’elle délimite dans l’espace… Nous serions donc dans le domaine d’une sculpture en négatif, si l’on pouvait oser un parallèle avec la pratique photographique. Une façon de s’affranchir de la pesanteur des choses, de passer du dense au quasi-vide, tout en restant dans le registre du monumental. Notons, par ailleurs, que l’évolution du marbre et de l’ardoise vers les structures en acier correspond au passage d’une sculpture soustractive à une sculpture additive. Dans le premier cas, la forme résulte de retraits de matière, dans le second de l’ajout ou l’assemblage d’éléments… Deux démarches radicalement opposées… Là, le vide crée la forme ; ici la forme définit et embrasse le vide. Franz Kafka évoque bien cette quête anxieuse du vide : « On ne voit que le vide, on cherche dans tous les coins et l’on ne trouve pas. »[2] Et Michel Foucault, la révélation du vide par l’œuvre : « Par la folie qui l’interrompt, une œuvre ouvre un vide, un temps de silence, une question sans réponse, elle provoque un déchirement sans réconciliation où le monde est bien contraint de s’interroger. »[3]

    Dans ses œuvres de la série des Traits, Chantal Atelin a imaginé un volume géométrique fermé, réalisé à partir de plans sécants, puis n’en a conservé que les arêtes, matérialisées par de fines barres de métal de section circulaire. La figure du triangle y est prédominante. Dans ses Volumes, l’approche est différente. L’artiste n’a pas pensé en termes de plans mais de volumes imbriqués, entrecroisés, dont elle n’a conservé que les lignes d’intersection, marquées par de fortes barres en acier de section carrée, résultant en une structure globalement pyramidale. Dans un cas comme dans l’autre, l’artiste déclare : « le volume intérieur (volume d’air) réalise la matérialité de la sculpture. Il est nécessaire de différencier la notion de vide physique (void) de celle d’inoccupé (empty). L’espace intérieur de mes sculptures n’est pas vide puisqu’il enferme l’espace et à la fois, la sculpture étant ouverte, libère l’espace. L’espace extérieur et l’espace intérieur ne sont pas les mêmes : l’un est infini, l’autre, défini, tend vers la finitude. »

    Ces deux vides ont hanté et continuent à hanter les créateurs, et pas seulement les sculpteurs. Pour Georges Braque, comme pour Lao-Tseu la forme structure le vide : « Le vase donne une forme au vide, et la musique au silence. »[4] Michel Butor veut remplir ce vide : « Il me faut écrire un livre ; ce serait pour moi le seul moyen de combler le vide qui s’est creusé, n’ayant plus d’autre liberté. »[5] Martin Heidegger nie l’existence du vide : « Un mot vide cela n’existe pas, il y a seulement des mots usés qui ont encore un contenu. »[6] Proust en fait un motif générateur : « Nous pouvons causer pendant toute une vie sans rien dire que répéter indéfiniment le vide d’une minute. »[7] Maître Eckart en fait une condition nécessaire à l’imprégnation de l’homme par Dieu : « L’homme doit-être si vide de toutes choses et de toutes œuvres, aussi bien intérieurement qu’extérieurement, qu’il puisse être pour Dieu un lieu particulier où Il puisse agir. »[8]

    Il y a de tout cela – et peut-être plus encore – dans les Traits et les Volumes de Chantal Atelin. Ses Traits et ses Volumes délimitent – découpent, pourrait-on dire – un espace vide dans le vide de l’espace et le mettent en tension. Cette tension est perceptible, manifestée, notamment, par le recours à des triangles et le refus des angles droits et de la symétrie. On peut penser que toute adjonction ou modification à leur structure provoquerait leur désintégration. Chantal Atelin cherche sans répit ce seuil fragile : au-delà de lui, tout s’effondrerait et, en-deçà, planerait le risque de la banalité, de lourdeur, de rigidité. Elle a ainsi réussi à fragiliser un matériau – l’acier – qui ne s’y prête pas naturellement, tout en lui conférant une dimension monumentale, même dans ses réalisations de petites dimensions.

    Intuitivement, ces pièces ont un intérieur et un extérieur, mais dès que l’on s’applique à les délimiter mentalement, les deux notions se brouillent. Le vase de Braque devient poreux et le pot de Lao-Tseu se refuse à contenir quoi que ce soit, sinon nos fantasmes ou nos déceptions. Chantal Atelin serait plutôt, mutatis mutandis, dans la situation de Butor pour qui remplir le vide est le seul exutoire à la privation de liberté que le monde nous impose. Mais pour ce faire, suivant en ceci Heidegger, elle n’utilise que les formes usées du répertoire de la géométrie la plus simple, communes, porteuses d’un contenu saturé, dont, par la magie de leur agencement, elle métamorphose et transfigure la banalité. Sans tomber dans une quelconque forme de mysticisme, on pourrait parler de grâce, de ce don de la vacuité indispensable à toute possession par l’Esprit, dont parlait Maître Eckart. C’est probablement ce qui poussa Vincent Rousseau à écrire, au sujet des Traits de Chantal Atelin : « il est permis aussi d’interpréter cette œuvre comme une métaphore de l’éternelle interrogation de l’homme sur les limites de sa liberté. »[9]

    Entre minimalisme et monumentalité, Chantal Atelin met en œuvre une méthode combinatoire, assurée mais discrète, qui ouvre la porte sur la notion de série. Réitérer le même processus de captation du vide, sans pour autant se répéter ni brider les rênes de l’imagination, c’est faire écho au propos de Proust et donner au vide une capacité génésique. Il en résulte une écriture proche de celle de la musique. Chantal Atelin pousse le démon de la nomenclature et de la taxonomie[10] en classant ses sculptures dans différentes familles en fonction de règles qu’elle s’impose a priori : épures ouvertes ou fermées, existence ou absence du socle, multiplication des points de construction, entrelacs, enchevêtrements insensés, déconstruction puis reconstruction de modèles anciens, mise en abîme du triangle, imposition de contraintes spatiales, déploiement en polyptyque, suites chromatiques…

    C’est la volonté d’effacer les contraintes et les limites de la sculpture qui donnent à ses pièces légèreté, transparence, tout en endiguant cette tension permanente qui garantit la cohérence de l’ensemble mais aussi captive et maintient l’attention du spectateur. La couleur intervient, in fine, comme une touche d’arbitraire – ou de folie – qui conjure l’inflexibilité, menant à un vertige quasi existentiel suscité par les notions de vide ou de plein, d’absence et de présence, d’une infinitude que l’on pourrait capturer et d’un vide que l’on voudrait matérialiser. Rendre visible l’intensité du vide, faire percevoir la densité de l’invisible, telle est la gageure à laquelle Chantal Atelin s’attelle avec une inébranlable résolution. Et cette démarche volontariste ne laisse pas le regardeur indifférent… Ni indemne…

Louis Doucet, août 2018



[1] In Tao Te King.
[2] In Journal.
[3] In Histoire de la folie à l’âge classique.
[4] In Le Jour et la nuit.
[5] In La Modification.
[6] In Introduction à la métaphysique.
[7] In À l’ombre des jeunes filles en fleurs.
[8] In De la pauvreté en esprit.
[9] In plaquette de l’exposition Entre les Traits, Maison de l’Avocat de Nantes, novembre 2015.
[10] Le soixante-dixième, omis dans la Pseudomonarchia daemonum.

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