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Le poil à gratter… 
Lettre d’information de Cynorrhodon – FALDAC  
www.cynorrhodon.org  


N° 72 – septembre 2018  

  ISSN 2264-0363
 

Olivier Passieux –
Un peu de génétique picturale









Passieux



Ingres



Picasso



Titien



Passieux



Picasso



Picasso



Picasso



Picasso



Oldenburg


C’est en copiant qu’on invente.
Paul Valéry[1]
L’inspiration n’est le plus souvent qu’une réminiscence.
Napoléon Bonaparte[2]

Olivier Passieux, né dans l’Ain en 1973, pratique la peinture, le dessin, la sculpture et l’installation. À travers ces diverses techniques, il cherche à dépasser le cloisonnement traditionnel entre les différentes pratiques picturales et leurs médiums. Son répertoire de formes emprunte largement à l’histoire de l’art. On y retrouvera, par exemple, des références à Ingres, Picasso, Oldenburg, Twombly… qu’il réactualise, non sans une touche d’ironie ou de dérision. De ce point de vue, non pas iconoclaste mais soucieux de s’inscrire dans une tradition sans en devenir esclave, sa démarche peut être comparée à celle de certains de ses grands aînés comme Gérard Gasiorowski ou Martial Raysse. Il y a aussi, chez lui, une évidente fascination pour l’Arte povera et la Trans-avant-garde italiens.

    Le morcellement des corps et des formes et leur reconstruction selon un modèle qui déjoue les règles de la logique conventionnelle est au centre de ses préoccupations. Le résultat de ces auto-hybridations peut osciller, selon les circonstances, d’un extrême classicisme au kitsch le plus débridé. Dans tous les cas, Olivier Passieux, s’est fixé comme objectif de déstabiliser le spectateur pour qu’il remette en cause ses certitudes les mieux ancrées et accepte, peut-être à son corps défendant, de voir notre monde sous un autre angle, avec des yeux nouveaux…

    Deux de ses œuvres récemment exposées[3] incitent à se pencher sur leur filiation et sur leur ancrage dans des modèles anciens. C’est donc à une sorte d’analyse génétique succincte de ces deux pièces que nous allons nous livrer ici.

* * * *

La première, Odalisque, 2016, béton, terre cuite et acier, 130 x 10 x 90 cm, est représentée ci-dessous. Pour faciliter l’analyse, sa photographie a été inversée, comme dans un miroir.


Ce qui frappe d’emblée c’est que, bien que ce soit une sculpture, elle se présente de façon frontale, quasiment sans profondeur, comme s’il s’agissait d’une peinture. Qui dit odalisque renvoie de façon consciente ou inconsciente à la Grande odalisque[4] d’Ingres, de 1814, appartenant aux collections du Musée du Louvre.


La comparaison entre les deux œuvres met en évidence les emprunts faits par Passieux au maître de Montauban. Ils sont évidents dans l’allongement démesuré du bras droit, le positionnement des jambes et des pieds, la saillie de la croupe. Certes, le dos est raccourci et le bras gauche disparaît, mais il est clair que la parenté n’est pas fortuite. Olivier Passieux dépasse cependant ce mimétisme immédiat en proposant sa propre relecture de son modèle. Par exemple, les chairs d’Ingres ont souvent été louées pour leur extrême sensualité. Baudelaire, notamment, écrivait des deux Odalisques : « […] ce sont des œuvres d’une volupté profonde. Mais toutes ces choses ne nous apparaissent que dans un jour presque effrayant ; car ce n’est ni l’atmosphère dorée qui baigne les champs de l’idéal, ni la lumière tranquille et mesurée des régions sublunaires. »[5] En revanche, d’autres, tel Hans Belting, parlent du fantôme d’une femme et relèvent que « sa chair, polie comme le marbre, contraste fortement avec l’hyperréalisme photographique de la chambre à coucher. »[6] Passieux, lui, tranche le débat en traduisant la chair dans du béton dénué de toute chaleur, mais en proposant, pour la tête, un ensemble de serpentins en terre cuite d’une texture et d’une couleur plus chaudes.

    Il reste à expliquer la présence de cette structure métallique, en forme de potence, qui soutient la tête du modèle. Et c’est chez Picasso qu’il faut la chercher, dans sa Femme couchée sur un divan bleu, 20 avril 1960,[7] du Musée national d’art moderne.


Chez le Malaguène, la figure est devenue frontale, dans une posture proche de celle de la Vénus d’Urbino du Titien, dont Ingres s’est d’ailleurs inspiré pour le positionnement des jambes et du bras droit de sa Grande odalisque, comme s’il s’était intéressé au côté pile du modèle du maître vénitien. On y découvre des traits noirs, plus ou moins potencés, à l’arrière-plan, qui correspondent aux pièces métalliques chez Oliver Passieux. Plus évident encore, dans les emprunts de celui-ci à Picasso, le vide sous la tête, à peine suggéré chez Ingres et partiellement obturé par le galbe du bas du sein droit de l’odalisque, devient double et béant chez Picasso.

    L’Odalisque d’Olivier Passieux, dans son indéniable originalité, se nourrit donc de la sève féconde des travaux et recherches de plusieurs de ses aînés.

* * * *

La deuxième œuvre donc nous souhaitons analyser l’ADN est Sans titre (portrait), 2016, acier et bois, 54 x 42 x 40 cm.


Ses racines sont plus proches de nous, car il faut les rechercher dans Chicago Picasso, 1967, immense sculpture de plus de 15 mètres de hauteur, en tôles découpées, offerte par Picasso à la ville de Chicago pour son Civic Center et qui y est toujours installée sur la Daley Plaza.


La source d’inspiration en serait un des nombreux portraits de Dora Maar, dont un de 1937[8], dans les collections du Musée national Pablo Picasso, ou un des portraits de Sylvette David peints en 1954, dont l’un appartient à une collection particulière.[9]


D’autres, remarquant l’absence de couettes symétriques dans la chevelure de Dora Maar et l’unique queue de cheval de Sylvette David y voient le portrait du lévrier afghan de David Douglas Duncan, alors ami de Picasso.

    Quelle que soit l’origine de l’œuvre, sur laquelle l’artiste n’a jamais voulu se confier, c’est ce qui suit qui importe pour notre propos. Un an après l’inauguration de l’œuvre, en 1968, Chicago est en proie à de violentes émeutes consécutives à l’assassinat de Martin Luther King. Des manifestations publiques sont brutalement réprimées faisant de la ville et de son maire les symboles de la violence policière. C’est alors qu’un coiffeur-barbier, dont le commerce est voisin de la sculpture de Picasso, décide de la faire figurer sur sa carte de visite. La ville, s’estimant dépositaire du droit moral sur l’œuvre, engage une procédure judiciaire contre l’artisan. Claes Oldenburg, né à Stockholm mais ayant des attaches avec Chicago, réagit à cette appropriation abusive du droit moral sur l’œuvre de Picasso en partant de la maquette de l’œuvre conservée dans les collections de l’Art Institute de la ville pour en réaliser une version molle, Soft Version of Maquette for a Monument Donated to Chicago by Pablo Picasso, 1968[10], pliable, dépliable et recomposable à l’infini.


Pour Oldenburg, dans cette œuvre, comme dans toutes ses sculptures molles, « l’avachissement, la mollesse, deviennent pour toute une génération une forme de résistance passive à la rectitude, à la rigueur disciplinaire d’un état militaro-policier. »[11]

    Olivier Passieux part de cette œuvre. Il en conserve le socle en bois, la débarrasse de ses toiles molles pour n’en conserver que l’armature. On y reconnaît les principaux composants, quelque peu éclatés à la manière cubiste mais identifiables, y compris les yeux, désormais éloignés les uns des autres et les cheveux –ou poils s’il s’agit d’un lévrier –redevenus plus souples que dans la version en tôle… Et même frisés par l’effet des maillons des chaînettes…

    L’œuvre est donc passée par différentes phases de solidification et de ramollissement –de congélation et de décongélation dirait-on dans l’industrie alimentaire –pour se présenter à nos yeux dans une forme complètement renouvelée. Les propos liminaires de Valéry et de Napoléon Bonaparte, que rien, pourtant, ne devrait rapprocher, se trouvent brillamment illustrés dans des créations qui, même si elles s’enracinent dans le terreau d’une tradition ou filiation historique, ne cessent de nous interpeller.

Louis Doucet, avril 2018



[1] In Mauvaises pensées & autres.
[2] In Commentaires de Napoléon er, Paris, Imprimerie impériale, 1867.
[3] Dans l’exposition Diversités, à l’Espace d’art Chaillioux de Fresnes, du 7 avril au 2 mai 2018.
[4] Huile sur toile, 91 x 162 cm.
[5] In Curiosités esthétiques : Le salon de 1846 –De quelques dessinateurs.
[6] In art press, 1er février 2010.
[7] Huile sur toile, 89 x 115,5 cm.
[8] Huile sur toile, 92 x 65 cm.
[9] Sylvette au fauteuil vert, 1954, huile sur toile, 81 x 65 cm.
[10] Toile et cordelette peinte au Liquitex, métal sur socle de bois peint, 77 x 72,5 x 50 cm, Centre Pompidou, Musée national d’Art moderne –Centre de création industrielle.
[11] In album de l’exposition Picasso.mania, Paris, Grand-Palais, du 7 octobre 2015 au 29 février 2016.

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