Cliquer ici pour visualiser le message dans votre navigateur

Le poil à gratter… 
Lettre d’information de Cynorrhodon – FALDAC  
www.cynorrhodon.org  


N° 69 – juin 2018  

  ISSN 2264-0363
 

Les handpaintings d’Olivier Baudelocque









Sans titre, 2008,
200 x 300 cm




Landscape, 2009,
200 x 250 cm




Landscape, 2009,
210 x 380 cm




Détail de l'œuvre ci-dessus



Handpainting, 2011,
220 x 280 cm




Landscape – Acte IV, 2014,
320 x 550 cm




Landscape 1, 2015,
215 x 325 cm




Landscape 2, 2015,
215 x 325 cm




Paysage, 2016,
220 x 320 cm




Landscape – Acte I, 2017,
220 x 320 cm




Landscape – Acte IX, 2017-2018,
220 x 320 cm




Détail de l'œuvre ci-dessus



Scène, 2018,
220 x 320 cm



Homme, n’as-tu jamais goûté de ton sang,
quand par hasard tu t’es coupé le doigt ?
Comme il est bon, n’est-ce pas.

Lautréamont[1]

Au sens littéral, des handpaintings sont des peintures faites à la main, par opposition à d’autres qui le seraient par des moyens mécaniques. Celles d’Olivier Baudelocque sont plus que cela car elles sont réalisées sans brosse ni pinceau, directement avec les doigts et les paumes de ses mains. On pourrait donc les qualifier de digitales, sauf que cet adjectif est désormais utilisé pour désigner une toute autre chose, des créations numériques sans intervention de la main ni des doigts… On s’en tiendra donc au terme de handpaintings malgré son caractère trop général.

    Mais, tout d’abord, essayons de les replacer dans le contexte des productions d’Olivier Baudelocque. Celles-ci se répartissent en trois grandes familles, les Grottes[2] et les peintures tridimensionnelles, les handpaintings, et les dessins et peintures aveugles[3]. Un observateur superficiel pourrait s’étonner de l’apparente hétérogénéité de ces œuvres. De fait, pour qui veut prendre le temps de les regarder, elles sont d’une extrême cohérence. Tout part des dessins aveugles, que l’artiste pratique depuis ses tout premiers essais artistiques, il y a près de trente ans. Dans ces travaux, Olivier Baudelocque part d’un modèle – souvent une illustration tirée d’un magazine – et s’applique à la reproduire sur une feuille de papier en se contraignant à ne pas regarder sa main, laissée libre. Par cet exercice de désapprentissage de techniques et de réflexes, acquis par une longue pratique du métier, il cultive une cécité auto-infligée qui n’est que l’inévitable contrepartie à la liberté absolue que l’artiste revendique. Plus tard, Olivier Baudelocque appliquera aussi cette technique à la réalisation de peintures aveugles. La cécité est bien la caractéristique commune à toutes ses œuvres, à travers des formes qui peuvent sembler peu compatibles. Par exemple, dans ses Grottes, référence directe au mythe platonicien, Olivier Baudelocque se penche sur l’aveuglement des occupants de la caverne vis-à-vis de ce qui lui est extérieur. Métaphore limpide d’une autre forme de cécité, elle aussi auto-infligée, celle de l’Homme qui se refuse à voir au-delà des apparences immédiates.

    Pour la réalisation de ses grandes handpaintings, Olivier Baudelocque est obligé de se tenir tout près de la toile, immense, épinglée au mur. Il manque donc du recul nécessaire pour en appréhender la structure générale. Il est ainsi condamné, à l’instar des occupants de la caverne de Platon, à une vision locale qui le rend aveugle au contexte plus global. Cette impossibilité de percevoir en permanence l’ensemble de la composition en devenir impose des stratégies alternatives, faites de gestes locaux, dont la répétition et l’addition construisent progressivement la structure globale. Ce n’est que dans les phases ultimes de la réalisation de ces peintures que l’artiste prendra un peu de recul pour peaufiner les détails. Le parallèle avec les mécanismes du développement cellulaire est patent. Le modèle génétique est, ici, tout entier compris dans les acquis gestuels et performatifs de l’artiste. En ceci, Olivier Baudelocque se fait l’écho du propos de Picasso quand il disait : « La peinture, ce n’est pas copier la nature mais c’est apprendre à travailler comme elle. »[4] Et c’est ce long apprentissage, fait de milliers de gestes répétés et apprivoisés pendant des décennies qui permet au créateur de se libérer des contraintes de l’observation et de la répétition servile d’un modèle, fût-il imaginaire.

    Ces immenses compositions sur toile libre résultent d’un corps-à-corps de l’artiste avec la toile fixée au mur de son atelier, habituellement superposée à d’autres, pas encore achevées. Elles ont parfois plus de quatre mètres de largeur et se lisent le plus souvent comme des paysages, parfois peuplés de personnages ou d’animaux. Les premières datent des années 2008-2009. Elles sont réalisées sur une toile rêche qui apparaît, çà et là, en réserve, dans des couleurs assourdies où dominent des bleus et des noirs, rehaussés de traînées de couleurs vives, comme des blessures, des balafres d’où sourd un liquide qui ne peut être que du sang. Les images mythologiques s’imposent avec force. Dans l’une d’elles, Olivier Baudelocque reprend à son compte la figure de Marsyas écorché et de l’arbre de son supplice. La chair est à nu, le sang coule à flots, les bras suspendus s’allongent démesurément… Alentour, les moutons – « les brebis à l’épaisse toison »[5] d’Ovide –, les bergers et les satyres vaquent à leurs occupations dans une complète indifférence pour la tragédie qui se déroule au premier plan… À partir de 2015, dans une nouvelle série et dans des formats encore plus grands, l’aspect est plus fini, la toile uniformément couverte, le rendu lisse et brillant. De ces compositions, dénommées Landscape, d’une extrême violence gestuelle, peut émaner une sensation d’un calme pastoral précédant une tempête imminente. Nous sommes ici sur la ligne de crête étroite entre l’automatisme pur et le contrôle du geste. Un fragile état de grâce…

    La comparaison de la composition des handpaintings avec le processus de l’improvisation musicale est pertinente et répond à l’exigence posée par Delacroix : « L’exécution, dans le peintre, doit toujours tenir de l’improvisation. »[6] En musique, qu’elle soit classique, jazzistique ou populaire, l’improvisation, au-delà des apparentes libertés qu’elle prend avec les normes et un carcan prédéfini, révèle toujours la personnalité de l’auteur, son style, dont Barthes écrivait : « Le style est proprement un phénomène d’ordre germinatif, il est la transmutation d’une Humeur. »[7] Cette humeur germinative est le moteur de la création chez Olivier Baudelocque. Paraphrasant ce que Barthes affirme de l’écrivain, on pourrait dire de notre artiste qu’il dépasse et transcende son style, « produit naturel du Temps et de la personne biologique »[8], pour donner « un signe total, le choix d’un comportement humain, l’affirmation d’un certain Bien, [l’]engageant ainsi […] dans l’évidence et la communication d’un bonheur ou d’un malaise, et liant la forme à la fois normale et singulière de sa parole à la vaste Histoire d’autrui »[9] dans « un acte de solidarité historique. »[10]

    Mais, chez Olivier Baudelocque, rien n’est simple. À l’opposé de ces aspirations universalistes et humanistes, il cultive un tropisme de la douleur, lequel lui fit, il y a plusieurs années, se sectionner une phalange d’une de ses mains en signe d’appartenance ou d’allégeance au cercle des maudits de l’art, de Van Gogh et des autres parias ou suicidés de la société.[11] Aucun masochisme, cependant, chez lui, mais plutôt une forme de dolorisme, d'’irrémédiabilité d’un engamenent vital où amour et douleur se confondent. Écho au propos liminaire intellectualisé de Lautréamont mais aussi douleur physique... L’artiste n’arrête son travail sur ses handpaintings que lorsque ses doigts, agressés par les aspérités de la toile et par la peinture acrylique, se mettent à saigner. C’est donc à ses œuvres elles-mêmes qu’il convient de poser la question de Maldoror : est-il bon le sang des doigts qui contribuent à la peinture ?

    À l’opposé de l’affirmation de Stendhal – « La peinture n’est que de la morale construite. »[12] –, Olivier Baudelocque ne veut rien construire et encore moins contribuer à l’avènement d’une quelconque morale. Si ordre il y a, il n’est en aucun cas prédéfini. Il résulte de la combinaison d’actions gestuelles élémentaires dont la superposition et la juxtaposition contribuent à créer un ensemble qui finit par se cristalliser en une composition que l’artiste a autant de mal à préconcevoir qu’à déclarer achevée. C’est un des profonds dilemmes d’Olivier Baudelocque que de décider si et quand une œuvre peut quitter son atelier. De fait, très peu atteignent ce stade et, même si le spectateur les pense accomplies, l’artiste, lui, trouve toujours qu’il leur manque quelque chose, qu’il faut revoir ici ou corriger là…

    Qu’on ne se méprenne pas, cependant. Il ne s’agit pas, chez Olivier Baudelocque, de la manifestation d’un attachement maladif, d’une quelconque réticence à se dessaisir d’une toile à laquelle il vouerait un attachement presque charnel. Bien au contraire. Il sait garder, avec ses peintures, une distance critique qui exclut tout sentimentalisme. Un peu à la façon dont un acteur est pleinement identifié à son personnage pendant la représentation, puis s’en détache dès le rideau tombé et pense déjà à son prochain rôle. Olivier Baudelocque, lui, a toujours une dizaine de toiles – de rôles – simultanément en chantier, superposées sur le mur de son atelier. Il peut, à tout moment, les feuilleter et décider qu’il va poursuivre celle-ci ou celle-là, sur laquelle il passera quelques minutes ou plusieurs jours avant de la laisser de nouveau en jachère, recouverte par une autre toile de la pile.

    Le parallèle avec le théâtre n’est d’ailleurs pas gratuit. Ainsi, Olivier Baudelocque aime à filmer son activité pendant de longues heures, comme s’il s’agissait d’une performance. Il peut soudain masquer la toile par un très théâtral rideau, quand il jugera qu’elle est arrivée à la fin d’un acte, et rouvrir la tenture quand il reprendra son ouvrage, passera à l’acte suivant, quelques minutes ou plusieurs semaines plus tard… Tout ceci contribue à créer une distance émotionnelle entre l’œuvre et lui, comme pour contrebalancer la trop grande proximité physique qu’il a avec elle lors de son élaboration. Une forme de distanciation qui nous ramène encore dans le monde de la dramaturgie…

    Car, la chose est claire, la pièce de théâtre que nous joue Olivier Baudelocque est celle de la vie. Peut-être ne faut-il voir, dans ses handpaintings qu’une tentative désespérée d’échapper à une logique mortifère, de conjurer la fatalité de la banalité : « Faire de la peinture […] ce serait donc bien apprendre à mourir, trouver le moyen de ne pas mourir dans la sottise de cette mort que les autres avaient en réserve pour nous et qui ne nous convient nullement. »[13]

Louis Doucet, février 2018



[1] In Les Chants de Maldoror, 1869.
[2] Louis Doucet, Les Grottes d’Olivier Baudelocque, in Subjectiles II, 2002.
[3] Louis Doucet, Les dessins aveugles d’Olivier Baudelocque, in Subjectiles VII, 2017.
[4] Cité par Pierre Cabanne in Le Siècle de Picasso 1975.
[5] Métamorphoses VI-395 : lanigerosque greges armentaque bucera pauit.
[6] In Journal, 27 janvier 1847.
[7] In Le Degré zéro de l’écriture, 1953.
[8] Ibidem.
[9] Ibidem.
[10] Ibidem.
[11] Antonin Artaud, Van Gogh le suicidé de la société, 1947.
[12] In Histoire de la peinture en Italie, 1817.
[13] Michel Butor, in Répertoire V, 1982.

Quelques acquisitions récentes




CROMAN LE MOTEURISME Réjane
LHÔTE
Jean-Loup
CORNILLEAU
Maude
MARIS


À ne pas rater...







Espace d’art Chaillioux Fresnes 94
7 rue Louise Bourgeois – 94260 FRESNES

du 18 septembre au 27 octobre 2018

Dessins I

• Erwan Ballan
• Laurent Belloni
• jacquesBernard
• Claire Espanel
• Réjane Lhôte
• Olivier Michel
• Richard Negre
• Sophie Rambert
• Caroline Veith
• Sébastien Veniat



Cynorrhodon – FALDAC
recommande



macparis automne 2018
du 13 au 18 novembre 2018
Bastille Design Center – 75011 PARIS


Assonance résonante
Olivier Michel – Pierre-Alexandre Remy

du 1er avril au 24 juin 2018
Galerie Réjane Louin – 19 rue de l’Église – 29241 LOCQUIREC


L’art dans les chapelles 2018
Joan AYRTON / Cécile BEAU / Charlotte CHARBONNEL / Roland COGNET / Marc COUTURIER / Vincent DULOM / Laura GOZLAN / Silvia HESTNES / Henri JACOBS / Adam JEPPESEN / Pascal PINAUD / David RENAUD / Émilie SATRE / Emmanuel SAULNIER & Rémy YADAN / Peter SORIANO / Marie ZAWIEJA
du 6 juilet au 16 septembre 2018
Pays de Pontivy


10 ans déjà à Locquirec !
du 30 juin au 16 septembre 2018
Galerie Réjane Louin – 19 rue de l’Église – 29241 LOCQUIREC


Les anciens numéros sont disponibles ICI

© Cynorrhodon – FALDAC, 2018
Association sans but lucratif (loi de 1901) – RNA W751216529 – SIRET 78866740000014
33 rue de Turin – 75008 PARIS – webmaster@cynorrhodon.orgwww.cynorrhodon.org

Recevoir la lettreNe plus recevoir la lettre