Le poil à gratter… 
Lettre d’information de Cynorrhodon – FALDAC  
www.cynorrhodon.org  


N° 44 – mai 2016  

  ISSN 2264-0363
 

macparis, printemps à la Bastille
du 17 au 22 mai 2016
Bastille Design Center
74 boulevard Richard-Lenoir – 75011 PARIS
Informations pratiques ici.
(notices rédigées par Louis Doucet)


Cette année, macparis innove encore.

Nous avons fait le choix d’une escapade printanière hors les murs de l’Espace Champerret, non pas à la campagne mais dans le cœur de Paris, non loin du Bataclan, lieu de triste mémoire où le terrorisme s’est attaqué récemment à notre liberté de pensée, d’expression, de choix de nos modes de vie. C’est donc un pied de nez – pour ne pas dire un bras d’honneur – que nous faisons à tous ceux qui s’en prennent à certaines de nos valeurs fondamentales, à notre droit à la différence, à la singularité, à l’expression libre des idées et des sentiments…

Au cœur d’un des quartiers les plus jeunes, vivants et animés de Paris, dans les splendides et très singuliers locaux du Bastille Design Center, vous découvrirez vingt-sept artistes plasticiens que nous avons choisis et invités. Ils vous proposent leurs travaux les plus récents, couvrant un large spectre de la création contemporaine : installation, sculpture, peinture, dessin, photographie, infographie, performance, vidéo… Autant de propositions qui, c’est notre vœu le plus cher, vous séduiront ou vous interpelleront. En tout cas, elles ne devraient pas vous laisser indifférents.

Hervé Bourdin, Annick & Louis Doucet
commissaires de la manifestation


Derrière le pseudonyme Anathomie se cache un collectif de deux artistes plasticiens : Anna Golicz-Cottet et Olivier Thomas. La première pratique, depuis plusieurs années et au gré de son imagination, le dessin et la calligraphie dans l’espace avec son matériau de prédilection, le fil de fer. Le second, de formation scientifique, a collaboré avec plusieurs artistes et collectifs.
Ils ont récemment combiné leurs projets et univers personnels pour produire, selon leurs propres mots, des fils animés d’émotion.
Leur installation La balance de l’âme fait référence à la mythologie égyptienne, selon laquelle Anubis est chargé d’accompagner l’âme des défunts devant son juge qui pèsera le bien et le mal. Le visiteur est invité à souffler sur un des plateaux de la balance pour faire évaluer le poids de son âme. Le dispositif reprend aussi les conclusions des expérimentations pseudo-scientifiques du médecin américain Duncan MacDougall qui chercha à mesurer précisément la masse supposément perdue par le corps humain au moment de la mort, l’assimilant au poids de l’âme, soit 21 grammes.
Plus généralement, les installations d’Anathomie proposent des interactions entre le spectateur et l’objet, s’appuyant sur des capteurs, des données recueillies sur Internet ou toute autre méthode permettant de détecter une présence humaine. Ils déclarent : « Nous cherchons le passage étroit mais signifiant entre légèreté, impertinence et émotion. C’est lui qui va pouvoir transformer avec l’influence du vécu de chacun, un objet en une histoire. »


Marguerite Artful, plasticienne et vidéaste, crée des volumes au statut incertain, tour à tour œuvres d’art, éléments de décor ou accessoires de mises en scène improbables. À ces objets simples elle confère une charge symbolique que la prise de vue révèle et magnifie en leur donnant du sens. Un sens qui n’a rien d’unique car chaque spectateur est invité à y projeter ses propres expériences personnelles.
Son mode d’expression combine la répétition de gestes simples traités comme autant de rituels au quotidien, une atmosphère profondément sensuelle qui sonde les tréfonds de l’intime, un fétichisme du banal, l’exaltation de petits riens, la réitération, jusqu’au vertige, de postures et de scénarios anodins… Tout ceci résulte en un univers où les frontières entre le rêve et la réalité deviennent poreuses, incertaines.
Sa série d’installations L’état(s) du lieu est une tentative de reconstitution de la perception d’un lieu. Elle se propose de susciter la remémoration d’un moment fait d’images et d’impressions passées (en gris), tout en laissant le spectateur se faire submerger par de nouvelles sensations (en orange) et saisir la mouvance des cadres (en bleu). Des éléments numérotés et dotés d’accessoires – poignées, roulettes, pieds, coins… – invitent à la mobilité. L’artiste déclare : « le décor est esquissé, de nombreux scénarios peuvent se bâtir sur cette archéologie du souvenir, ce lieu documenté, fragmenté, à commémorer. »


Depuis plusieurs années, Nicolas Beaud tente d’épuiser la thématique du mélange de couleurs primaires en quantités égales pour donner, par synthèse additive, du gris, non-couleur, au même titre que le blanc et le noir.
Après avoir longtemps procédé en superposant, dans un processus minutieux faisant penser au travail du laqueur, des couches de couleurs uniformes sur des toiles, Nicolas Beaud s’est approprié une technique plus mécanique, remplaçant la peinture par la superposition de trois ou quatre films en gélatine colorée, des filtres.
Les premières pièces à base de filtres étaient planes avec, parfois, des découpes en forme de lucarnes ou d’anneaux dans les différentes épaisseurs, comme des témoins d’étapes intermédiaires dans le processus de recouvrement. On pense à ces marques de couleurs que les imprimeurs laissent dans les marges des épreuves pour étalonner leurs machines. Petit à petit, les Filtres de Nicolas Beaud ont acquis une troisième dimension. Les planches colorées partagent une arête commune et s’ouvrent en éventail, constituant un volume, parfois monumental, en forme de… prisme… Mais ce prisme est, en fait, un anti-prisme optique. Il ne diffracte pas la lumière mais la condense, un peu à la façon dont les trous noirs des astrophysiciens ont un champ gravitationnel si intense qu’il empêche toute forme de matière ou de rayonnement de s’en échapper. On peut en faire le tour et, en quelque sorte, démonter intellectuellement le processus de synthèse additive du gris, en obtenant, par des positionnements successifs autour de la pièce, des effets d’irisation ou d’interférences…
L’installation présentée est la troisième version de Visiblement Gris, Impermanence. Cette série rejoint les principaux enjeux de la pratique de la peinture de Nicolas Beaud, où il s’agit de superposer de nombreuses couches de glacis colorés sur de la toile afin d’atteindre une lente et progressive grisification de la surface. Pour ces installations, le processus de fabrication des gris se simplifie, se radicalise, se transpose dans l’espace tridimensionnel. Le spectateur est invité dans cet espace de contemplation où les gris varient avec son déplacement, où les formes se meuvent en autant de variations imprévisibles.


Venu de la gravure et de la sculpture, passé par la peinture et le dessin, Hervé Bourdin développe, depuis quelques années, une technique qui mêle infographie, impression numérique et peinture acrylique.
Il nous livre des sortes de saynètes dans lesquelles des individus débonnaires et sympathiques, qui pourraient être nos voisins de palier ou des collègues de travail, se livrent à des activités qui combinent, dans la même page, le grotesque et le tragique. Le regard jeté sur la société est acide, décapant, mais aussi rempli d’une profonde empathie pour les personnages mis en scène. Par certains aspects, son graphisme évoque celui de la bande dessinée, domaine que l’artiste a investi en produisant des albums qui donnent à ses compositions une dimension narrative plus explicite.
Plus récemment, Hervé Bourdin s’est approprié la technique de la vidéo qu’il combine avec des installations.
L’installation et la vidéo En attendant… évoquent Beckett et son Godot qui n’arrive jamais. Elles en ont l’esprit décalé et déjanté mais là où, chez Beckett, le spectateur est incité à attendre l’arrivée d’une figure transcendante qui ne vient jamais pour sauver un quatuor – Vladimir, Estragon, Pozzo et Lucky – évoluant dans une sorte d’huis-clos angoissant, les personnages de Hervé Bourdin sont foule (celle de la manifestation suite à l’attentat de Charlie Hebdo), complètement désinhibés, joviaux et festifs, rassemblés dans un grand élan de partage et de solidarité, résolus à abattre les barrières sociales, religieuses et intellectuelles qui freinent l’épanouissement humain.


Le travail de Benoît Carpentier prend naissance dans des grands dessins géométriques, en forme d’épures, qu’il découpe, lacère et réassemble pour produire des formes à la fois vagues et allusives, équivoques mais très présentes. Il utilise aussi des tissus enduits de gesso, stratifiés, découpés, déformés et complétés de menus objets, eux aussi en tissus enduits de gesso, souvent peints comme des fanions, pour produire des sortes de paysages mentaux improbables mais tout empreints de poésie. Ces paysages sont parfois prolongés par des lignes géométriques, au crayon, inscrites à même le mur.
Les œuvres résultantes, apparemment fragiles dans leur complexité, procèdent simultanément du dessin, de la peinture et de la sculpture. Partant d’une simple ligne, elles jouent sur les notions de vide et de plein qu’elles tentent de subvertir pour proposer une nouvelle lecture de l’espace, dans laquelle le spectateur hésite entre une vision à deux ou à trois dimensions.
Ce patient travail n’exclut pas l’improvisation, l’indétermination et le hasard, tant dans le processus de construction des œuvres que dans les aléas de leur observation qu’une infime variation d’angle ou d’éclairage peut rendre toutes autres. Il y est aussi question de multiples oppositions dialectiques, de tension, de gravité et de légèreté, de droite et de courbe, d’épaisseur et de platitude, de matériel et d’immatériel, d’ombres projetées et de traits à la mine de plomb, de résistance des matériaux perçus comme fragiles, de l’opposition entre le blanc et les couleurs primaires, du statut de l’objet, de son (in)utilité, de construction et de déconstruction, d’évidement, de réduction et de transformation…


Rose Coogan est céramiste. Rien à voir, cependant, avec l’idée que l’on se fait habituellement de cette pratique trop rapidement réduite à la réalisation de petits objets d’agrément ou à usage domestique.
Rose Coogan recycle des objets en céramique de la vie quotidienne. Elle collectionne des tasses, des soucoupes, des assiettes, des figurines, des briques… récupérées çà et là. Elle les associe, les assemble, les hybride, dans de stupéfiantes constructions, puis recuit l’ensemble. Les objets, cassés ou abîmés, voués à l’abandon, se voient alors offrir une seconde vie sous une forme autre, a priori insoupçonnable.
Elle s’exprime en ces termes : « Mes reconstructions sont des aventures ; des histoires qui se racontent. Les céramiques récupérées sont déjà chargées avec des couches de lecture, images traditionnelles ou populaires en provenance de cultures différentes, ou parfois copies industrielles d’œuvres précieuses, ils sont aussi simplement de la matière céramique avec forme et couleur. Dans le jeu de la juxtaposition de ces objets souvent disparates, unifiés par le processus de cuisson et émaillage, je cherche à proposer des nouvelles images et formes. »
L’artiste ne reste pas dans le registre des sculptures de petites tailles. Elle peut les combiner avec d’autres objets recyclés pour produire d’étonnantes installations.
L’installation Sleepy Mountain convoque des vieux matelas pour servir d’assise improbable à un empilement, apparemment hétéroclite, de papier, de terre et de céramiques de récupération. Son titre, expression littérale d’un calembour visuel, renvoie aux paysages chinois traditionnels, ce que l’installation réussit à évoquer de façon surprenante.


Ancien avocat, Julien Cresp est photographe. Il est passionné par l’histoire ouvrière des XIXe et XXe siècles avec l’enchaînement d’une phase d’industrialisation puis de désindustrialisation. Tel un reporter, il a sillonné la planète, visitant Allemagne, Italie, Pologne, Roumanie, Bulgarie, République Tchèque, Ukraine, Monténégro, Mexique, Guadeloupe, Cuba, Italie, Espagne, Cambodge… Dans chacun de ces pays, il interroge, à travers ses images, leur histoire mais aussi le rapport des hommes qu’il rencontre au temps, aux tabous sociaux et moraux. Il évoque, entre autres, les effets de la désindustrialisation, de l’esclavagisme, de la lutte des classes, de la récession, du chômage, des maladies professionnelles, de la pollution des sols et des corps, de la peur de la solitude, de l’abandon, de la précarité, de l’oubli, de la mort…
Ses Wastelands sont des bâtiments désaffectés : combinats sidérurgiques d’Europe de l’Est, distilleries guadeloupéennes, haciendas mexicaines, villes soviétiques… Ces constructions, vestiges d’une activité humaine disparue, sont traitées comme les pages d’une histoire économique et sociologique des territoires parcourus.
L’artiste les réinterprète en leur donnant une dimension mystique, en leur conférant le caractère de modernes cathédrales, de sanctuaires d’une vie et d’un travail révolus. Elles deviennent des métaphores poétiques pour traduire les peurs qui, plus ou moins consciemment, nous assaillent.
Pour arriver à ses fins, Julien Cresp réalise une photographie numérique puis lui applique numériquement une nuit américaine. Les lueurs bleutées qui surgissent jouent le rôle de halos, d’auras, pour souligner l’ancienne présence laborieuse d’hommes et de femmes partis sans laisser de traces.


Christophe Dalecki hante les quincailleries, les magasins de bricolage et les supermarchés, ne s’intéressant qu’aux objets en matière plastique. Il les assemble, sans recours à d’autres substances, pour réaliser des installations qui copient, non sans ironie, la nature. Il peut nous offrir d’imposantes végétations avec des plantes que l’on imagine carnivores, foisonnantes, proliférantes, effrayantes, ou, à l’opposé, de petites compositions pleines de tendresse ou des calembours visuels. Il faut cependant se méfier. Le propos de l’artiste va au-delà du simple exercice de style ou de l’amusement gratuit. Il est subversif en ce qu’il recourt aux matières plastiques, réputées vulgaires et polluantes, pour reconstruire une nature habituellement considérée comme idyllique et pure, surtout par des citadins qui ne quittent jamais la ville… L’artiste nous place en face de nos contradictions et de nos incohérences, dynamitant un certain nombre de préjugés, de truismes formulés dans la langue de bois des bien-pensants, de formules intellectuelles trop confortables pour être véritablement sincères. Les objets utilisés par Christophe Dalecki sont souvent neufs. Ils sont, pour lui, ce que les tubes de peinture sont au peintre : un matériau de base. Rien de plus. Il n’y a, dans sa démarche, aucune tentative de rédemption de l’objet délaissé, que le geste créateur de l’artiste transfigurerait.
Son installation Périphérie colorée résulte de sa fréquentation assidue des zones périphériques ou périurbaines. Dans les premières, il a y été frappé par le hiatus entre des zones commerciales déshumanisées avec leurs nombreuses enseignes colorées et une nature dénaturée servant tristement de décor ou de respiration. Il y récupère des plaques publicitaires ou promotionnelles en polypropylène alvéolaire offrant une variété d’impressions et de graphismes colorés. Dans les zones périurbaines, où villes et campagnes se côtoient de manière plus ou moins heureuse, bien souvent sans plan préétabli, il note que certains éléments de la culture urbaine, notamment les graffitis, irradient sur des paysages de moins en moins champêtres.
L’installation résulte de la confrontation de ces deux univers : réaliser des découpes dans les plaques de polypropylène, en utilisant les aspects graphiques et colorés de ces éléments pour réaliser un ensemble de petites maisons stylisées et uniformes, disposées au sol sur un tapis de disques de polypropylène tout aussi colorés. L’homogénéité des formes choisies (une seule dimension pour les disques et une seule pour les maisons) évoque la monotonie périphérique. L’importance et l’exclusivité du matériau synthétique renvoient à l’invasion de ce dernier dans ces zones urbaines, périurbaines et au-delà. Quant à l’aspect excessivement coloré de l’ensemble, presque difficile à regarder dans le détail tellement les couleurs se chevauchent anarchiquement, il évoque l’idée de frontières, de limites floues… Ici les sens se troublent, le sens se perd…


Alphonsine David est une artiste complète, abordant avec un égal bonheur tous les médias : peinture, dessin, sculpture, photographie, installation, performance, vidéo… Ses travaux font souvent référence au corps humain et, plus précisément, à son écorce externe, à sa peau.
Dans ses vidéos, elle n’hésite pas à se mettre elle-même en scène, dans des montages qui fusionnent des images cinématographiques et des animations de dessins à la mine de plomb ou à l’encre. Ses séquences d’images entraînent le spectateur dans une forme de délire étourdissant où, perdant ses références traditionnelles, il devient sujet à des hallucinations visuelles, à des vertiges qui lui font perdre le sens de l’équilibre et renoncer à toute velléité de positionnement par rapport à ses repères familiers.
Pour ses œuvres en volume et ses installations les plus récentes, elle exploite des blisters servant au conditionnement de médicaments. Elle les agrafe pour former des carapaces d’improbables tatous, pangolins ou autres animaux à écailles. Les structures résultantes peuvent être refermées sur elles-mêmes, tels des gastéropodes, ou expansives, faisant penser à des tentacules d’un monstre menaçant à peine domestiqué. Le matériau utilisé et sa technique d’assemblage évoquent une fragilité, une vulnérabilité essentielle qu’accentue la référence à des médicaments qui ont été consommés puisqu’il n’en reste que l’emballage.
Entre peau fragile et armure protectrice, le spectateur hésite, dans un incessant aller-retour qui alterne attraction et répulsion, sensations de solidité et de faiblesse. Il y a aussi un évident appel à se poser la question de ce qui se cache sous cet épiderme : corps solide ou mou, vide ou liquide, organique ou minéral, savoureux ou vénéneux, amical ou hostile… Une façon, pour le regardeur, de faire migrer ses propres obsessions, ses détresses inavouables, en dehors des limites de sa propre écorce corporelle, puis de les matérialiser pour mieux les appréhender… Dans les deux sens de ce verbe…


Christophe Dentin procède en collectant des fragments de films appartenant à la mémoire cinématographie collective, des origines à nos jours. Il les distancie en les recadrant, en altérant leur luminosité, leur contrastes, leurs couleurs, leur texture, leur grain. Il les assemble ensuite par séries de trois pour former des boucles de quelques minutes, répétées à l’infini. Les juxtapositions, avec leurs ruptures marquées de couleurs, d’ambiances et de formes, semblent échapper à toute logique narrative. Elles n’en sont pas moins fascinantes, quasiment subliminales, ouvrant large les portes de l’imagination chez le regardeur. Le dépaysement est complet.
Christophe Dentin, dans la descendance de Nam June Paik, qu’il admire, mais avec une très grande simplicité de moyens, propose une intégration de ses vidéos dans des constructions plastiques qu’il nomme sculptures numériques. Dans leur forme la plus simple, elles sont diffusées sur des écrans plasma intégrés dans des armatures en acier poli faisant office de cadres, rectangulaires, carrés ou circulaires, qui les enchâssent. Leur fini est méticuleux, froid et rigoureux, contrastant avec la chaleur douce et précieuse des vidéos qu’elles mettent en valeur. La solidité simple et durable du cadre, alternativement et simultanément étroite meurtrière, fenêtre ou trou de voyeur, relève le caractère éphémère et fuyant des images, rendant nécessaire, pour s’affirmer pleinement, l’indispensable présence d’un tiers, d’un observateur.
Mais que l’on ne se trompe pas. Christophe Dentin ne nous convie pas à la seule contemplation d’un bel objet aux indéniables qualités esthétiques. Pas plus à la découverte d’une installation ou d’une séduisante proposition in situ. Ses propositions tiennent de toutes ces techniques mais les récusent dans le même moment. Il s’agit de bien autre chose… L’artiste cherche avant tout un écho chez le spectateur. Si occupation de l’espace il y a, c’est surtout de celui, mental et imaginatif, à géométrie variable et changeante, du regardeur. Il est question d’apparitions et de disparitions, de spectres et de solidité, de mouvement et d’équilibre. Mais la temporalité n’est pas celle de notre monde. Elle est celle de la conscience humaine, faite de suspensions et de répétitions, de fixations et de cristallisations, d’oublis et de réminiscences, d’affectivité et de distanciation.
Les fragments de vidéos, mis bout à bout, ont quelque chose de dérangeant, tant dans le retour cyclique des séquences que dans leur indétermination permanente. Le spectateur a tout juste le temps d’échafauder une hypothèse sur les images qu’il décrypte que le fragment suivant s’enchaîne. Il lui faut attendre son retour, deux minutes plus tard, pour reprendre ses conjectures. Mais c’est une reprise à zéro car les deux sections intermédiaires ont ajouté à son indécision et élargi le spectre des possibles. Il en résulte une sorte d’addiction quasiment hypnotique, dans laquelle le possible devient progressivement nécessaire. L’attention du regardeur subit une tension, à la limite de l’irritation, un malaise devant l’insaisissable près d’être agrippé et qui s’enfuit.


EB, alias Élodie Briot, nous propose des œuvres en volume, fragiles et délicates, qui prospèrent et prolifèrent à la manière d’une ville chimérique ou d’un processus organique improbable. Elle y mêle divers matériaux qu’elle réunit pour leurs caractères opposés. Par exemple, le Plexiglas transparent, froid, coupant et rigide cohabitera avec des filins opaques, soyeux, doux et mobiles.
Ses points de départ et d’arrivée restent le dessin qu’elle pratique depuis toujours. Ses œuvres récentes résultent de sa volonté de donner une troisième dimension à la feuille de papier. Le filin blanc y joue le rôle du trait noir de la mine de plomb. Il peut s’exprimer dans l’espace, comme le ferait une ligne dessinée, ou enrober une forme, tel le graphite du crayon opacifiant un aplat plus sombre. Avec, au passage, une inversion des non-couleurs, un passage au négatif, le trait noir en deux dimensions devenant blanc dans l’espace.
Dans ces structures labyrinthiques en 3D, le regard est entraîné, presque contre son gré, vers une quatrième dimension, celle du rêve et des fantasmes. Une forme d’enlèvement, de rapt visuel, dont personne ne se plaindra.
Son installation La série du LE se présente comme un meuble de rangement à quatre étagères. Sur trois d’entre elles, deux pièces sont juxtaposées. Sur la quatrième, une seule œuvre s’étale sur toute la largeur du rayon. Première contrariété, car ce que l’on avait saisi comme un exercice démonstratif achoppe sur cette dissymétrie. Quand les pièces sont en paires, l’une se présente comme un volume opaque, avec des ouvertures qui permettent de constater qu’il est creux. On pense à la coquille d’un gastéropode inconnu ou à la mue d’un animal incertain. L’autre ressemble à un squelette ou à la reconstitution fil de fer d’un volume. Tout est fait pour inciter le spectateur à imaginer qu’il s’agit du même volume rendu de deux façons différentes : plein et disséqué, comme sur une planche anatomique… Le regard est immédiatement mobilisé pour essayer de comprendre en quoi les deux vues se ressemblent et diffèrent… Pour conclure que la première impression était fausse. Il ne s’agit pas de la même forme. Mais, qu’il le veuille ou non, l’observateur a été contraint à entrer dans un exercice pour lequel il n’avait pas donné son consentement… Nouvelle tentative, réussie, de kidnapping oculaire…
Les pièces sont sommairement étiquetées comme des échantillons dans les réserves d’un muséum d’histoire naturelle ou dans l’annexe pastique d’un musée Dupuytren d’un nouveau genre. Sans le formol… Ce qui est tout à fait sain pour de l’art vivant…


Formée à la création de décors de cinéma, Justine Gasquet, en sus de son activité professionnelle, dessine et réalise des vidéos plasticiennes et des installations.
Son installation Le bateau ivre est une traduction visuelle des dérives et des errances évoquées dans le long poème de Rimbaud.
Dans un espace aux murs noirs et à l’ambiance tamisée, trois aquariums présentent trois films différents, tournés sous l’eau. Les aquariums sont remplis d’eau et présentent un décor sous-marin, fait d’algues et de roches, qui n’occulte que très partiellement les images projetées. Des casques mis à disposition du public permettent d’écouter le texte et la musique. Au pied des socles supportant les aquariums, s’étalent des roches sous-marines aux contours adoucis par le ressac.
L’écran du milieu présente le film principal, celui qui est le plus directement inspiré du texte et qui en présente le contexte : la mer, les algues, le ressac inlassable. À gauche, les animaux qui peuplent l’univers sous-marin sont plus présents. Dans l’aquarium de droite, est figuré le naufrage sans cesse répété du bateau s’échouant dans les profondeurs.
Selon Justine Gasquet, le texte de Rimbaud « évoque une façon de discerner la beauté dans l’échec. Le bateau, personnage passif, était guidé par une volonté qui, une fois anéantie par les forces de la nature (les Indiens) le laisse libre d’aller au gré des fleuves et des courants. Ceux-ci l’entraînent dans leurs tréfonds, lui faisant découvrir un monde insoupçonné, qui lui serait resté inconnu s’il avait vécu ce qui était prévu. »
Le propos de Justine Gasquet est donc de montrer que l’on peut survivre à des accidents imprévisibles, que ceux-ci peuvent devenir de véritables révélateurs de mondes nouveaux, de potentialités insoupçonnées, de profondeurs belles ou tragiques. Ceci, bien entendu, à condition d’accepter la contradiction, les contrariétés, les points de vue divergents du sien, de se laisser guider, de s’abandonner un peu, de renoncer à ses habitudes et à ses prérogatives… L’artiste déclare : « Pour plonger sous la surface, il faut faire naufrage. Dans un monde où l’échec est tabou, comment parvenir à la profondeur des choses ? »
L’eau, dont on ne peut décider si elle est devant ou derrière l’image, extérieure au spectateur ou dans ses entrailles, dans le monde ou en dehors de lui, pesante ou en lévitation, est une métaphore limpide de l’inconscient, d’un état dans lequel les rêves et leurs fantômes affleurent. Microcosme et macrocosme se percutent, faisant perdre toute notion d’échelle, mais aussi d’espace et de temps.


Dans la pratique artistique de Thierry Gilotte, le temps de réalisation est aussi celui de la performance et d’un rapport physique à un matériau. Il sculpte des formes dans le bois. La présence charnelle et vivante de cette matière lui permet d’interroger la nature des objets qu’il représente. Ce sont des objets mécaniques, techniques et universels. Des roues, des tubes, des chaînes, des habitats. Il accorde une grande importance au plaisir du geste de la taille directe, à l’absence de repentir et donc à l’irréversibilité de cette technique : sa construction retrace les nombreuses décisions et contradictions, et sa facture témoigne par empreinte de ses gestes. Le travail est sculptural et revendique des savoir-faire acquis spécifiquement pour chaque réalisation ; l’outil au service de la main, plutôt que le corps guidé par la machine, qui mériterait alors la paternité de l’œuvre.
Il s’agit aussi de rétablir un rythme humain dans la production pourtant très technique de ses sculptures : rythme du corps et des outils qui différencie leur travail d’un type de productions artistiques contemporaines qui sont déléguées, industrialisées. Attelé à une tâche contre-productive, il met en scène l’inutile dans une société obsédée par l’efficacité. Il y développe une invitation à remettre l’individu au premier plan dans un système à tendance globalisante, à affirmer l’être dans une société technicienne, à proposer grâce à l’art un certain mode d’existence qui diffère de la manière normée d’être au monde dans un contexte d’économie politique imposée.
Dans l’installation présentée, trois chaînes taillées en bois semblent s’envoler, portées par des ballons remplis d’hélium. Par l’illusion de légèreté et l’aspect mystérieux de la fabrication de la chaîne en bois massif, ainsi que par les jeux d’opposition entre couleurs, matériaux et symboles, cette pièce pose la question de la réalité du monde matériel, tout en plaçant le spectateur dans l’univers de l’enfance, de la rêverie et de la fête… Elle évoque aussi notre difficulté à nous élever…


Marianne Guillou réalise des installations qui s’ancrent dans l’actualité et traitent des rapports entre la nature et la culture. Ses matériaux de prédilection sont la céramique et le dessin, ce qui n’exclut pas le recours à d’autres techniques, comme la pierre, le plâtre, l’argile, le bois, la photographie ou la vidéo.
Pour macparis printemps elle a relevé le défi de transfigurer les casiers qui se dressent derrière l’escalier principal du Bastille Design Center. Son installation est intitulée Honey Moon ou l’impossible mariage entre la sentinelle de la biodiversité et le héros de l’anthropocène.
Le propos de l’artiste dérive du poème Têtes de ruche, écrit en 2009 :
      Le miel
      Se fait
      Des pensées sauvages.

L’artiste présente son projet en ces termes : « Honey Moon se déploie en un grand cercle jaune à multi-scénettes révélant une activité poétique. La cire, le plâtre et la céramique concrétisent la scénographie de cette chanson de geste contemporaine. À l’image d’une ruche, les cellules de bois de l’ancienne quincaillerie dévoilent la dualité de ces pensées sur le sauvage. Les notions de capture et d’offrande, de domination et d’impuissance, de secret et de vulnérabilité se logent dans les cinquante casiers délimités par le cercle. Des gravures ponctuent la lecture à la manière des cartons de films muets. Elles enrobent les sculptures de mots. Elles donnent le ton : jaune d’or pour l’action en pleine lumière, ou de couleur noire pour l’attente, l’ombre de la métamorphose… Honey Moon est l’essaimage d’un dialogue. C’est une installation pour renouer le lien nature-culture et penser l’art au service du sauvage.
      L’une charpentière, tueuse ou reine,
      Lune rousse,
      Sauvage et pleine,
      L’une industrieuse
      Et l’autre, rêveuse…
 »
L’installation regroupe des pièces en céramique, des moulages de mains en plâtre et en cire, des alvéoles de visages en cire, des gravures et impressions sur papier et de la tarlatane fixée par de la cire à modeler. L’artiste attache des rôles et des significations symboliques à chacun des matériaux utilisés : « La cire définit l’ouvrière ailée. Le plâtre définit la friabilité de la vie. Le moulage évoque le recommencement des mauvaises habitudes. Les mots sont des invitations au dialogue, des slogans de poésie. »


Sylvie Houriez prend pour matière première des pièces d’habillement, souvent des sous-vêtements féminins, avec une prédilection, non exclusive cependant, pour la couleur rose. Elle s’empare de ces secondes peaux, vidées de leur occupante, les déforme, les détourne, les coupe, les coud, les noue, les suture, les triture, les contorsionne, les démembre et les remembre pour produire des êtres improbables, animaux ou végétaux, à l’aspect insolite, dérangeant.
S’arrêter ici, s’en tenir à ces simples constatations, serait très réducteur de la démarche et de l’ambition de l’artiste. Son travail n’a rien du bricolage. Sylvie Houriez ne se limite pas à proposer des images amusantes, incongrues ou déconcertantes à partir de matériaux recyclés, détournés… Il y a bien plus, chez elle… Beaucoup plus…
Premier constat, les sous-vêtements utilisés par Sylvie Houriez, même s’ils sont encore commercialisés, sont d’une esthétique désuète, évoquant plus les grands-mères du temps de son enfance que les pin-up et les top-models qui font fantasmer les mâles d’aujourd’hui. L’image de la peau flétrie et ridée des occupantes potentielles de ces froufrous démodés vient inévitablement à l’esprit. Chics mais ringards, ces sous-vêtements récusent d’emblée toute velléité d’association sexuelle. Ils véhiculent une idée de déliquescence, de désincarnation. Comme si l’âme d’un corps depuis longtemps transformé en cendres s’était substituée à ce corps, enveloppait son ancienne écorce. L’amour physique, devenu impossible, deviendrait un amour métaphysique.
Deuxième constat, Sylvie Houriez ne se contente jamais d’une pièce isolée. Telle une musicienne, elle les multiplie et les varie, avec d’infimes changements, jusqu’à épuisement de son matériau de base. Séries, répétitions, thèmes et variations, accumulations… tout concourt à remplir l’espace, aussi bien physiquement que mentalement. Il y a, chez elle, comme une transposition dans la troisième dimension de la notion picturale de all-over, en ce que ses accumulations finissent par s’affranchir du problème du champ. Mais malgré cette saturation de l’espace, chacune des pièces, prise isolément, reste une enveloppe, une sorte de chrysalide abandonnée, une allégorie d’une solitude dans la multitude.
Troisième constat, si les travaux de Sylvie Houriez sont d’évidentes métaphores de la peau humaine, d’une enveloppe, d’une sorte de sur-peau, ils en partagent aussi le caractère vivant, instable et évolutif. Ses œuvres sont, dans un premier mouvement, révélation, épiphanie. Le (sous-)vêtement, censé être dissimulé, intime, proche du corps, collant à la peau, est d’abord manifesté. Mais, dans le même geste, il est détourné de sa fonction originelle. De protecteur, il se fait fourreau, étui, prend une dimension animale ou végétale. Il est alors polysémique, révélateur de plusieurs sens, de plusieurs personnalités. Vient, dans un second temps, la découverte d’une instabilité structurelle, d’une sorte de valse-hésitation permanente et irréductible, oscillant, tel un pendule, entre déconstruction et reconstruction. L’artiste revendique cet état instable – ou métastable – qu’elle qualifie d’intermédiaire. C’est cette frustration de sentir la forme et son sens s’évanouir au moment même où l’on pensait les saisir qui confère à ses œuvres leur don de fascination, mélange quasi magnétique d’attraction et de répulsion.
Déliquescence et transmutation, accumulation et solitude, révélation et instabilité, tels sont les caractéristiques essentielles des œuvres de Sylvie Houriez… Il faut se rendre à l’évidence, même si elle prend des risques singuliers en recourant à des textiles et à des vêtements féminins, ses travaux n’ont rien à voir avec ce que l’on désigne, de façon quelque peu dédaigneuse et péjorative, du terme de travaux de dames… Sauf à être aveugle ou insensible…


Depuis vingt ans, Martine Hoyas poursuit une itinérance artistique qui la mène d’un territoire à l’autre, alors que l’assise de son travail reste toujours le même : le papier peint décollé dans des maisons abandonnées.
Inspirée, à l’origine, par la démarche formelle de Supports/Surfaces, elle s’en affranchit après avoir pris conscience que son matériau de prédilection est porteur de messages, de couches de vies, qui ne peuvent se réduire à sa simple surface visible. Dès lors, elle s’intéresse au rendu de ces réalités concrètes, selon ses propres mots, latentes dans le support, sans recourir à l’illusionnisme ni à la figuration picturale.
Le décryptage des différentes strates de ces palimpsestes fait resurgir une sorte de mémoire des lieux, des traces de vies, des chroniques collectives qui ne peuvent qu’interpeller le spectateur, incité à projeter sa propre expérience, ses pulsions refoulées, sur les lambeaux d’une réalité désuète et apparemment anodine. Il en résulte une prise de conscience de la fragilité des choses. Les faits et gestes humains, les joies et les malheurs de la vie, les épisodes intimes ou publics, sont réduits à des traces ambigües, juste des indices dont l’interprétation n’est jamais univoque.
C’est donc la structure même du corps social qui est convoquée et questionnée, avec la mise en évidence de ses incohérences, de ses oublis impardonnables et de ses gloires éphémères.
L’installation Tépistola III [l’enfance] appartient à un triptyque de tipis, intitulé Habit-âges, qui interroge les trois âges de la vie : l’enfance, l’adolescence et l’âge adulte.
L’artiste la décrit en ces termes : « Il est constitué d’un patchwork d’empreintes de papiers peints, transférées sur une surface translucide, cousues entre elles, comme autant d’identités assemblées. Dans l’obscurité, un foyer lumineux posé dans sa panse, transforme le tipi de peaux colorées en une chapelle ardente et hypnotique. Son éclairage projette sur les parois intérieures – telles des étoiles filantes tournoyant dans le ciel – une allégorie de notre société de consommation pleine de logos lumineux porteurs de songes bienfaiteurs qui dessinent une ronde sur les parois, accompagnée par une berceuse mécanique qui rythme la danse. Sa texture organique, mise en lumière, souligne ainsi des états, des anachronismes, des absurdités, qui sous-tendent des échecs, des dérives dans l’itinérance autant physique que mentale. »


Lila Kato est une artiste d’origine japonaise.
Sa peinture cultive le fantastique, dans un esprit et une technique qui s’inscrivent dans la lignée des calligraphes et des créateurs d’estampes de la tradition japonaise. À ce titre, elle ne récuse pas la dimension illustrative de la peinture, souvent méprisée par les occidentaux contemporains.
Ses installations lumineuses sont construites en papier japonais sur des armatures en fil de fer. Elles sont éclairées de l’intérieur. Ses Nuages sont suspendus et flottent ou oscillent au moindre mouvement de l’air. Ces légers mouvements créent une atmosphère indécise et changeante qui influe sur la perception de leur environnement, à l’instar de véritables nuages qui, occultant le soleil pendant quelques instants, modifient notre façon d’appréhender un paysage.


Maëlle Labussière développe des réseaux de lignes, tracées dans un geste obsessionnel, rehaussées de couleurs vives qui suscitent de fascinantes interférences optiques. Elle élimine la question du champ pictural en pratiquant une forme de all-over qui repousse les limites du tableau au-delà de ses bornes géométriques. Elle ne s’appuie pas sur la répétition obsessionnelle d’un module unique, mais développe plutôt un processus de type génésique, à caractère fractal, où les autosimilarités suscitent une forme de vertige, celui de la mise en abîme. Le recours à des fonds métalliques dont les capacités réfléchissantes ne sont que partiellement occultées procède aussi de cette volonté de création d’une troisième dimension. Certaines de ces compositions, à l’instar des shaped canvas, sont présentées à quelques centimètres du mur, faisant d’elles des volumes de facto, des sculptures capables de projeter une ombre… D’autres pièces, composées de modules rectangulaires juxtaposés, sont présentées dans l’angle de deux murs, lointain écho des contre-reliefs de Tatline…
Dans ses dessins, les lignes parallèles ou légèrement obliques se combinent pour créer des interférences visuelles, des battements optiques qui animent et font vivre le plan du papier. Elles tiennent à la fois de la partition musicale et de la neige aléatoire de la mire d’accueil d’une chaîne télévisée. Quand l’œil arrive à se concentrer sur un des traits et à le suivre, il constate de légères imperfections dans sa linéarité, des décrochements, des petits détours pour éviter des obstacles inexistants, des rapprochements et des écartements avec ses voisins… Accidents, voulus ou subis, qui évitent la froideur impersonnelle et sans âme que généreraient des parallèles parfaites. Dans ses peintures, notamment dans ses compositions en plusieurs panneaux, la linéarité se brise aux limites de chaque volet, rebondit, se réfracte ou se diffracte, pour repartir en sens inverse, de façon plus ou moins biaise, pour finir par saturer la surface de l’œuvre. Dans certaines de ses œuvres sur papier, elle joue sur les superpositions de feuilles translucides – on parle de papier pelure, étymologiquement dérivé du mot peau – qui révèlent, par transparence, un réseau de lignes, souvent rouges, allusion aux muscles, aux tendons, au sang et aux veines d’un écorché.
Dans l’installation présentée, les dessins tiennent au mur au moyen d’adhésifs argentés qui se prolongent au-delà de la surface de la feuille. Ces dessins deviennent ainsi partie intégrante du mur qui se trouve alors (re)dessiné. Les lignes, présentes matériellement mais aussi parfois absentes, du fait de la couleur métallisée, se croisent et structurent la surface du mur, permettant l’accueil d’autres éléments. L’espace mural, le rapport au corps influent sur la mise en espace finale qui se monte, tel un jeu de construction, petit à petit, sans projet prédéfini. De même que chaque peinture ou dessin se construit par superpositions, le mur se construit par juxtaposition d’éléments. La cohabitation d’œuvres variées par leur date, leur format, leur technique, désacralise l’objet, tout en lui laissant une autonomie. La saturation accentue le balisage et permet des accointements inattendus. Le regard circule, non d’une façon linéaire, mais balise l’espace du mur, qui devient un tableau à part entière.


Christian Lefèvre se range à l’opinion de Léonard de Vinci lorsqu’il déclare, dans ses Carnets : « La nécessité est le thème et l’inventeur, l’éternel courbeur et loi de la nature. » Il place d’emblée le rôle de l’artiste du côté de la nécessité, manifestation de cette natura naturans, chère à Spinoza. C’est donc en tant que démiurge qu’il se comporte, avec comme objectif de (re)créer la nature. À cette fin, il part de matériaux de récupération qu’il dévoie de leur finalité initiale. Ce processus de détournement « vise à bouleverser les habitudes perceptives et les modes de pensée, à banaliser le sublime, à sublimer le banal.» C’est aussi, d’une certaine façon, loin de toute tentation mystique, un processus de rédemption, donnant une nouvelle vie à des matériaux – voire à des animaux ou à des végétaux – devenus inutiles, mis au rebut, réputés morts.
La démarche de Christian Lefèvre n’est en rien finaliste. Il récuse la position aristotélicienne– « La nature ne fait rien sans objet » – pour nous opposer la vision d’une nature imprévisible, incertaine dans ses tenants et ses aboutissants, aussi peu prédisposée dans ses comportements que l’est l’être humain. Cette humanisation le pousse même à poser les bases d’une psychologie de la nature, macrocosme mis en parallèle avec le microcosme humain. L’idée rousseauiste de la bonté de la nature est aussi sérieusement mise à mal. Chez Christian Lefèvre, comme chez Maeterlinck – « La nature ne veut pas le bonheur » – la nature peut être cruelle, pleine de pièges, rongée par des moisissures, par des champignons lignivores ou par les vers…
Christian Lefèvre n’oppose pas le réel à sa représentation, une réalité à son image plus ou moins déformée, mais plutôt deux artefacts, l’un d’eux se comportant comme un semblant et l’autre comme un faux. C’est ainsi que, dans certaines de ses œuvres, les produits de la nature, comme le bois, sont amenés à se muer en produits manufacturés et les rebuts industriels à se substituer à des éléments naturels. De cet échange de rôles, surgit une véritable mise en scène d’une nature redéfinie ou recréée, dans laquelle le travestissement est de rigueur. Le paysage devient ainsi simultanément le support ou la trace d’un geste et la projection ou la mémoire d’une idée ou d’un état.
De son installation, Christian Lefèvre écrit : « Bois flotté est un questionnement sur tel ou tel aspect du monde contemporain. Plus précisément, l’industrialisation intégrale du monde, pensée comme une prolifération vide, un recouvrement en simili de lui-même, est poussée dans sa logique jusqu’au monstrueux. Ici paysage panneauté jusqu’à l’absurde, là hobby, folie privée, sur fond de solitude. Nos pièces accompagnent un monde de la marchandise qui déroule tranquillement ses tautologies et ses impudences, mais elles rappellent aussi que se joue l’absorption progressive des enjeux démocratiques par les mots d’ordre des idéaux du marché. Quant au spectaculaire, il substitue le sensationnel à la sensation, qui demandait une expérience fine des choses. Le paysage, les œuvres d’art, deviennent les décors interchangeables de la geste sociale et de la self-estime. À ce renversement des valeurs, à leur évidement sous des dehors inchangés, l’artiste doit opposer, nous semble-t-il, l’acuité du moraliste, de celui qui, non dupe, erre parfois, mais révèle aussi le faux-semblant du moment, la perte irréparable sous l’innocuité de la variation. Pour matérialiser l’utopie industrielle j’utilise des papiers passés dans un destructeur de documents, longs et touffus serpentins qui génèrent une prolifération un peu malsaine. L’utilisation de cette matière première, de ces déchets fabriqués dans le seul souci de conserver un secret, qui peut-être n’est pas avouable, résume assez l’aspect malhonnête des intentions des donneurs de conseils. Le déchet devient une richesse et parler de les réduire consiste seulement à les traiter, ce qui constitue une nouvelle industrie, mais on se garde bien d’être critique. Du centre de cette plaine de déchets émergent deux troncs en loupe d’orme, polis et cirés, du vrai faux bois qui n’éclaire plus le monde mais le néant. »
De façon paradoxale, dans ces figurations de la nature, ce sont les éléments naturels qui semblent incongrus, à contre-emploi, comme des invités indésirables qui débarqueraient là où on ne les attend pas. Le semblant paraît faux et le faux devient semblant… Dans son exercice de (re)création de la nature, le démiurge Christian Lefèvre a donc pleinement réussi son exercice de déstabilisation, de va-et-vient, de réversibilité entre le concept de paysage et sa représentation matérielle, entre idée et artefact.


De formation scientifique, Tania Le Goff navigue entre les univers rationnels de la science et intuitifs de l’art, avec la profonde conviction qu’artiste et scientifique sont tous deux dans une démarche de recherche. Ses travaux s’appuient, le plus souvent, sur des documents ou concepts scientifiques, qu’elle fait basculer dans le monde du sensible pour en donner une lecture poétique ou critique.
On se souvient de ses photographies de façades d’immeubles collectifs, tirées sur métal, rendues dans une frontalité presque impersonnelle, évoquant les rayons d’une bibliothèque o` chaque ouvrage intègrerait et archiverait l’histoire d’une famille, de son passé, de son présent et de son devenir…
Vision glaçante de la progressive marchandisation de toute humanité.
L’artiste s’exprime sur sa démarche : « Mes travaux s’appuient la plupart du temps sur des documents ou concepts scientifiques. Je prends un grand plaisir à les mettre à distance, à les faire basculer dans le monde du sensible pour en donner une lecture poétique. Processus, procédures, protocoles, normalisation, standards, normes, cartes, plans, symboles, abstraction, codage, décodage, génétique, génome, évolution, nouvelles technologies, télécommunications, intelligence artificielle, schémas, modélisation, mathématiques… voici les données d’entrée de mon travail plastique. Après, il y a copie, répétition, inversion, transformation, hasard… et lâcher prise !  »
Ce que Tania Le Goff nous donne à voir, c’est la façon dont l’apport scientifique des nouvelles technologies a modifié notre rapport au temps et à l’espace, permettant d’en distendre, contracter ou éclater les dimensions, jusqu’ici considérées comme immuables.
Dans une approche dont la dimension ludique n’est pas oubliée, elle se plaît à nous proposer de naviguer dans ces nouveaux espaces-temps, à en déchiffrer la cartographie improbable, à nous projeter dans un univers à la charnière du rêve et du réel, de la sensation et du factuel.


Fabrice Leroux est photographe, vidéaste, comédien et metteur en scène. Il résume son credo en ces termes : « J’ai vu des failles, des fragilités, des peurs, des ouvertures, des forces, l’Humain tout en contradiction, sublime et exaspérant, révélateurs, du négatif au développement, de l’ombre à la lumière, agrandissement du champ des possibles. »
Sa vidéo Ashes to ashes convoque de toutes ces techniques… plus la chorégraphie… Dans un déploiement de sensualité tactile et visuelle, Fabrice Leroux y aborde très poétiquement la dure question de la mort : cendres, nous redeviendrons cendres…
Il double la projection de cette vidéo par une performance qui parle de nos souvenirs plus ou moins enfouis, de notre enfance, de nos émotions. C’est, de toute évidence, une vanité, mais une allégorie très douce de la mort : une mort inéluctable mais sans violence, comme une issue logique. La cendre, résidu de notre corps, devient légère et dansante, comme réveillée de son sommeil…
Des jouets d’enfant prennent leur envol et flottent dans l’air. Un miroir ayant appartenu à une aïeule sort du grenier où il était relégué. Toutes ces images font nécessairement écho à la propre histoire du spectateur. Elles lui permettent de surmonter ses peurs, de trouver un juste milieu entre beauté et fatalité, entre élan de la vie et repos des cendres.
De ce processus de fouille, d’exhumation, dans les strates de notre passé, Fabrice Leroux écrit : « Il y a toujours des strates. Une rencontre avec un lieu, confronter nos regards avec ces murs chargés d’histoire et la nôtre pour voir ce qui émerge. Entre installation, images fixes et animées, et la performance. Autant de portes d’entrées, de possibilités d’y saisir une part inconsciente. »
De vieux moniteurs de télévision, des écrans cathodiques couverts de cendres, posés çà et là à même le sol, ouvrent d’autres fenêtres sur ce véritable travail d’archéologie de l’inconscient et nous rappelle, non sans un certain humour grinçant, que la technologie, elle aussi, à son cycle de vie…


Laetitia Lesaffre est artiste peintre laqueur et photographe.
Son travail explore le reflet. Dans la descendance directe du courant pictorialiste, elle cherche à dissoudre la frontière entre peinture et photographie. Elle déclare : « Le grain, le flou du tableau rendent au sujet son intimité. Mes photographies en deviennent impressionnistes, elles délaissent le trait pour ne garder que l’essence du sujet. »
Ses noirs profonds, son recours au clair-obscur et ses mises en page intrusives renouent avec la tradition de la peinture baroque italienne, du caravagisme ou de certains portraitistes du Siècle d’Or espagnol.
Ses productions, à l’aspect insolite, sont pourtant naturelles, sans traitement informatique. Elle les réalise en capturant les reflets de ses modèles dans ses laques. Les clichés résultants donnent l’illusion d’avoir été pris à travers un verre cathédrale ou une vitre embuée. Le spectateur se trouve en position de voyeur devant ces sujets déformés qui émergent d’une profonde obscurité.
Frêles, instables et fragiles, ces images récusent toute volonté narrative. Elles mettent en scène un sujet qui regarde son reflet et se sent regardé, dans une chaîne introspective ininterrompue dans laquelle l’artiste, ses laques et son appareil de prise de vue ne sont que des maillons contribuant à la glorification du seul sujet.
Le temps y est suspendu, comme s’il s’agissait d’une image résiduelle d’un rêve dont on ne se rappelle ni le lieu ni l’époque à laquelle elle appartient. La référence au miroir, traditionnel symbole de pureté de l’âme dans les civilisations extrême-orientales, pousse à la fois à la méditation mais aussi à une forme de vertige, de mise en abîme : le modèle émerge de l’obscurité, se découvre, se sent regardé et se découvre regardant… Il est simultanément sujet et objet… Il échappe à son image, ouvrant ainsi la porte à d’autres interprétations du corps, du portrait, et ébranlant les certitudes acquises sur ce qu’est ou devrait être la photographie…
Laetitia Lesaffre nous invite aussi à aller au-delà des apparences, à nous intéresser à cette partie de l’âme vouée à la vie inconsciente et mystérieuse, échappant à la raison, pour révéler les empreintes du passé, les rêves, les intuitions du cœur et de l’esprit.


Frédéric Messager macule, déchire, lacère et froisse le papier. Il part de larges feuilles de papier fort – plus récemment de rouleaux de papier – sur lesquelles il répand des nappes d’encre de Chine ou d’un mélange de bitume et de térébenthine, dirigeant et contrôlant l’écoulement par des gestes amples et mesurés. Dans les plages laissées vierges, blanches, par les taches et les coulures noires, en une démarche lente, patiente et laborieuse, il dessine, en noir, des petits paysages abstraits, des mises en scène de rêves inédits. Sa démarche est à la fois gestuelle et quelque peu japonisante. Ce sont, pour lui, des paysages qu’il « développe dans une approche utopique où s’affiche l’instant de la création, sous une forme d’abandon à la production de traces, formes, signes, en tenant compte des hasards ou des déterminations qui interviennent dans la dynamique de l’exécution du dessin. » Il froisse alors rageusement la feuille pour produire des volumes informes. Il lacère ensuite, à coups de scie, les formes ainsi obtenues, les écrase, les broie, pour en révéler l’intérieur, par des brèches, par des béances presque obscènes. Devenu démiurge, l’artiste, dans un même mouvement, crée de toutes pièces sa créature puis l’éventre pour en révéler les viscères. Amour vache, amour destructeur, du créateur pour son propre ouvrage. Pygmalion assassinant sauvagement sa Galatée… Malgré toute cette violence latente, le résultat est souvent séduisant, évoquant la céramique, dans une sorte de trompe-les-sens qui se joue du spectateur et de sa perception de la pesanteur.
Son installation Faire des mondes prend une direction autre, tout en relevant de la même démarche. Il commence par photographier des lieux qui sont, pour lui, des limites, des bords, essayant d’en évacuer d’emblée toute dimension esthétisante. Dans une deuxième phase, à l’aide d’une tablette numérique, il dessine, sur certains de ses tirages, des signes et des motifs aléatoires qui brouillent l’image initiale et constituent une sorte de palimpseste aux apparences végétales. Microcosme et macrocosme s’y interpénètrent dans une forme de vertige ou de course à l’abîme.
Après impression, les dessins sont rangés dans des tiroirs en bois, posés sur des tréteaux. Le spectateur est alors invité à transgresser le tabou de l’intangibilité des œuvres exposées et à manipuler, ouvrir et fermer les caissons pour en découvrir le contenu.


Artiste japonaise vivant en France depuis longtemps, Hiroko Palmer nous propose une surprenante synthèse de l’art extrême-oriental et de la pratique plastique occidentale contemporaine.
De ses racines japonaises, l’artiste retient une concentration extrême qui la mène à reproduire le même geste s’appuyant sur un protocole prédéfini avec rigueur. Elle l’applique aux matériaux les plus divers : plâtre, latex, coton, papier de soie, graines, cire, teintures végétales… Avec, cependant, une prédilection toute particulière pour les produits de la nature. Ses gestes répétitifs requièrent une concentration sans faille pour être capable de réitérer, sans déviation, le geste générateur initial. Le produit de son travail est donc celui d’une mémoire, de la mémoire d’un geste inaugural, scrupuleusement respecté. Le parallèle avec la méditation zen s’impose naturellement, l’ensemble de tout ce cérémonial ayant pour objectif l’accession à un état d’oubli total. L’artiste nous donne ainsi l’impression de saisir son propre vécu – mais, par un processus d’identification, aussi celui du spectateur – en s’adressant directement à l’expérience.
De l’occident, Hiroko Palmer a intégré les pratiques plastiques, notamment celle des installations, la charge critique sociale ou politique, l’interpellation directe du spectateur, l’interactivité, la cristallisation du temps et de l’espace, la volonté de rupture avec une tradition… Et bien d’autres choses encore…
De son installation Jyomon, Hiroko Palmer écrit : « Le voyage sur l’île de Yakushima, dans l’extrême sud du Japon, a changé mon rapport avec le temps. Sur cette île, couverte de végétation luxuriante grâce au climat pluvieux, on observe plusieurs cèdres millénaires. Plus particulièrement le Jyomon Sugi (cèdre japonais), très impressionnant en raison de son âge estimé à plus de 6 000 ans. Le mot Jyomon désigne une époque de l’histoire du Japon qui s’étale de 15 000 à 300 ans avant notre ère. Face à un de ces troncs, j’ai eu la sensation d’être petite, non pas seulement par rapport à sa taille mais par rapport aux siècles traversés par cet arbre. Pour la première fois, j’étais devant un arbre vivant, vieux de plusieurs millénaires. Peu de temps après, j’ai eu le sentiment d’exister de nouveau dans le temps linéaire, une sensation d’être connectée au temps de cet arbre. Le projet Jyomon est né de cette expérience directe. C’est une tentation de présenter mon ressenti à travers des images gravées ou dessinées sur la base de répliques d’objets et de pots de la période Jyomon, que je réalise dans une démarche d’archéologie expérimentale. »


Pilar du Breuil est photographe. Après s’être intéressée à des sujets à caractère social – prostitution, solitude, souffrance, racisme, féminisme, lieux désaffectés, peur de l’avenir… –, elle s’est penchée sur la nature morte, puis, plus récemment, sur des figurations de la féminité. Elle part d’un matériau pictural quelque peu suranné, mais le retraite comme si elle s’attachait à évoquer une forme de deuil de son passé. Les clichés, trop réalistes au goût de l’artiste, sont retravaillés sur ordinateur pour leur donner une dynamique et un rythme qui gomment leur caractère anecdotique et leur confèrent une portée plus universelle. De l’évocation nostalgique du passé à l’affirmation universaliste… L’essence de l’art ?
Sa série Chronique d’un siècle revisite un siècle d’histoire sous un angle qui mêle le personnel et l’universel, des souvenirs de familles et des monuments de la mémoire collective. À travers la succession des images, se développe un immense cri de désespoir, de défiance envers les facettes les plus noires de l’humanité, auquel répondent les lumières d’espoir de ses versants les plus lumineux, où l’art tient une place de choix. Elle écrit : « 1916-2016 – La première Guerre mondiale (la Grande) devait mettre un terme à la barbarie : Plus jamais ça ! Mais… Oradour-sur-Glane… Les armes en vente libre… L’enfance maltraitée… Oui, mais… Les prix Nobel de la Paix… La protection de la nature… Et l’Art (Egon Schiele et les autres)… »


Plasticien de formation, Florent Trochel s’oriente progressivement vers la création vidéo, la mise en scène et la réalisation de films. Sa pratique conjugue l’écriture, l’image filmée, la mise en scène et la scénographie. Dans ses spectacles, ses performances, ses vidéos ou ses films, il interroge les légendes et les mythes de notre monde contemporain en recourant à des métamorphoses de formes, d’images et de récits.
Un de ses sujets d’investigation de prédilection est le rapport sensible à l’espace, les liens entre les choses, la circulation du vivant, son mouvement, la présence, l’absence, la destruction et la reconstruction.
De ses vidéos de la série des Intérieurs, il écrit : « quelque chose se construit dans son démantèlement, ou alors c’est l’inverse. Ça ne se résout pas. Les images mettent en scène ce paradoxe. L’espace se transforme, on peut dire qu’il se métamorphose, et c’est surtout ça qui est montré : un changement de nature. La caméra n’a pas bougé. C’est comme si elle ne pointait rien de particulier. Un choix est fait dans l’immensité du réel, mais ce cadre ne change pas, alors c’est comme si les choses étaient montrées telles quelles sont, objectivement. D’abord il y a un espace qui est comme un chaos, comme rien. Des corps s’y déplacent un peu comme des danseurs dont la chorégraphie modifierait l’espace. Les gestes ont l’air d’être ceux de la destruction, mais pourtant des objets reprennent forme. Les corps avancent dans le sens de la marche, mais le film a l’air d’aller en sens inverse. L’expérience que nous avons de la réalité est contredite par des éléments qui vont à l’inverse du bon sens. Évidemment il y a un truc, un effet de montage, mais cet effet n’est pas dissimulé. Le film ne cherche pas à tromper le regard. Non. Pourtant, ça ne se résout pas. Je n’aime pas la destruction. J’ai commencé la série Intérieurs, pour aller dans le sens inverse de cette chose-là qui parfois nous fascine, parce qu’elle nous effraie aussi. J’ai commencé cette série dans un quartier où les gens jettent parfois des objets par leurs fenêtres. […] Alors avec des gens de ce quartier, j’ai récolté ces objets et nous les avons réparés. Puis nous avons dû les recasser pour faire le premier Intérieur de la série. Quelque chose est sacrifié, et le film est la trace de cette expérience, à la fois dérangeante et cathartique. Il y avait quelque chose de négatif dans l’espace et je voulais inverser ce processus, faire un film, un peu comme un rêve, qui irait dans l’autre sens. »


WonderBabette expose son credo en ces termes : « Pourquoi ne pas croire aux miracles de nos relations, de nos rencontres avec soi et les autres ? Aspirer à un monde meilleur, imaginé, rêvé, où ce qui est intérieur trouverait à s’extérioriser ? Provoquer le contradictoire, instaurer une intimité publique, permettant de nous affranchir des tabous, d’alléger le poids des normes et des conventions afin d’ouvrir un imaginaire en libérant ce qui est au plus profond de soi ? Délivrer l’intimité en la livrant par des mots, des images, des dénudements de partie de corps, pour se délier des retenues, des carcans, des préjugés ? »
Dans ses installations et ses performances, WonderBabette développe sans cesse ces thématiques et propose des réponses à ces interrogations.
En règle générale, elle structure son espace d’intervention pour générer des face-à-face, des proximités ou des promiscuités qui font fi des limites communément admises en matière de pudeur, de partage, de regard, de parole… Il s’agit, en quelque sorte, de déplacer les lisières de l’intimité pour faire émerger ce qu’elle désigne sous le terme d’intimité publique. Ces nouvelles frontières délimitent un monde où quelque chose de nouveau pourrait commencer. L’artiste s’applique donc à générer « des ponts créatifs propres à créer des liens, à dompter les timidités, à s’ouvrir à l’autre et au monde. »
En d’autres termes, l’artiste œuvre pour faciliter la rencontre avec l’autre, sachant que chaque individu place plus ou moins loin de lui, plus ou moins proche de l’autre, les limites de la pudeur, de la réserve, de l’intime.
Il ne s’agit pas de voyeurisme ni de curiosité malsaine mais d’une volonté de nous sauver d’un certain aveuglement égoïste, de nous écarter du chacun pour soi, de révéler une altérité tant négligée, de promouvoir les empathies et, plus généralement, de nous réveiller à notre propre humanité.
« S’installer le plus confortablement possible de façon à ressentir le moins de gêne, et inviter l’autre à partager votre univers. Ce bien-être déteindra sur votre invité et ainsi naîtront des instants propices aux échanges et créations en tout genre. » C’est tout ce que nous propose la sphère ouverte et capitonnée de son installation Un monde de femmes.

Quelques acquisitions récentes




Charlotte
PUERTAS
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BELLONI
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MARCASIANO
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des installations...

du 18 au 22 mai 2016
Bastille Design Center – 74 boulevard Richard-Lenoir – 75011 PARIS


Dominique De Beir
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du 26 mars au 26 juin 2016
Galerie Réjane Louin – 19 rue de l’Église – 29241 LOCQUIREC


Claude Briand-Picard
du 26 avril au 25 juin 2016
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Dansaekhwa
l’aventure du monochrome en Corée, des années 70 à nos jours

Park Seo-Bo, Chung Chang-Sup, Chung Sang Hwa, Ha Chong Hyun, Yun Hyong Keun, Lee Kang So, Lee Dong Youb, Choi Byung So, Lee Ufan
Lee Bae
Shim Moon Seup

du 6 mars au 5 juin 2016
Domaine de Kerguéhennec – 56500 BIGNAN


L’Art dans les chapelles
du 8 juillet au 18 septembre 2016
Vallée du Blavet & Pays de Pontivy


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© Cynorrhodon – FALDAC, 2016
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