Il est peu de sujets qui, en notre époque riche en polémiques partisanes, arrivent à concentrer une quasi-unanimité, transcendant les habituels clivages de l’échiquier politique. L’art contemporain est de ceux-ci. Certes, les tendances populistes – de droite et de gauche – sont peut-être plus virulentes que les autres dans la dénonciation de ce qu’elles considèrent comme une supercherie de quelques intellectuels branchés. Le dénigrement des intellectuels est, en effet, devenu un thème porteur, catalysant toutes sortes de frustrations avouées ou refoulées. On oublie trop rapidement, peut-être, que l’anti-intellectualisme est un outil de prédilection des régimes totalitaires pour discréditer leurs opposants, considérés comme appartenant à une élite détachée des préoccupations quotidiennes et matérielles de la majorité du peuple.
Dans la lignée de la position de Thomas Sowell,[1] la caricature, la dérision et le dénigrement de l’art contemporain ne sont pas uniquement le fait de couches de la population peu éduquées.[2] Elle touche aussi des personnes instruites qui ne veulent pas, dans le domaine des arts plastiques, reconnaître la valeur de l’intelligence pure, préférant invoquer et mettre en avant la sensibilité, l’imagination ou l’intuition.[3] C’est oublier que quasiment tous les mouvements picturaux dont les productions font la gloire des musées du monde entier résultent de démarches intellectuelles critiques, proactives ou réactives, qui ont présidé à leur émergence et ont produit des chefs-d’œuvre désormais unanimement reconnus.
Sans vouloir ignorer ni minimiser les évidents excès d’une production d’art contemporain qui occultent souvent sa visibilité et sa compréhension,[4] il n’en reste pas moins que trois profonds malentendus sont, à mes yeux, à la base d’une partie du désamour du grand public pour l’art de notre temps. Ces trois malentendus, ayant pris naissance à des époques différentes, de l’Antiquité aux années 1960, continuent à parasiter toute approche dépassionnée de la création plastique contemporaine.
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1. La fin du Beau
L’artiste, tel que nous le connaissons aujourd’hui, est une invention du Quattrocento et de l’émergence d’une classe bourgeoise fortunée.[5] Auparavant, la notion se confondait avec celle d’artisan. L’anonymat était de rigueur, même si quelques pierres de nos cathédrales gardent la marque de leur artisan-tailleur. Giorgio Vasari, avec son monumental ouvrage Le Vite de’ più eccellenti pittori, scultori e architettori (1550-1568), contribuera à individualiser l’artiste, à forger son image, à créer son mythe. Les dictionnaires d’artistes, du type du Bénézit[6] ou du Thieme & Becker,[7] perpétuent encore aujourd’hui cette marque de reconnaissance du statut d’artiste, d’une certaine forme de certification par l’enregistrement dans une liste de pairs.
Nos artistes sont formés dans des écoles des beaux-arts… Le mot beau serait donc, d’une certaine façon, consubstantiel à leur activité. Ce terme est, cependant, source d’une profonde ambiguïté qui déchire le monde de la philosophie depuis plus de deux mille ans. Il suscitait des controverses bien avant même que l’artiste existe.
De l’Antiquité jusqu’au Moyen-Âge, était beau ce qui était utile, répondant ainsi au rôle essentiellement fonctionnel des productions de l’artisanat. La définition de Galien résume bien cette vision finaliste : « Ars est systema præceptorum universalium, verorum, utilium, consentientium, ad unum eumdemque finem tendentium. »[8] Platon, cependant, dans son Hippias majeur,[9] contestait déjà la définition du καλόν, démontrant que ce n’était ni l’utile ni l’avantageux ni même « le plaisir qui vient de la vue et de l’ouïe ». Il échouait cependant à en donner une quelconque définition, terminant son dialogue sur une aporie, en citant, dans une sorte de pirouette, le proverbe grec : « les belles choses sont difficiles ».
Plus tard s’opposeront deux visions antithétiques du beau, celle des objectivistes et celle des subjectivistes. Parmi les premiers, Kant défend l’idée d’une « satisfaction désintéressée »[10] à prétention universaliste, dans la filiation de Galien, ce qui lui fait poser comme définition : « Est beau ce qui plaît universellement sans concept. »[11] ¨Parmi les seconds figure Hume : « La beauté n’est pas une qualité inhérente aux choses elles-mêmes, elle existe seulement dans l’esprit qui la contemple, et chaque esprit perçoit une beauté différente. »[12] Hegel tentera vainement la synthèse, complexifiant la discussion en distinguant le beau de nature et le beau artistique, ce dernier ayant la prééminence car il est œuvre de l’esprit visant à la « présentation de la vérité »[13] sous sa forme sensible pour éveiller l’homme à la conscience de soi. Burke[14] proposera de séparer le sublime du beau…
Rien de décisif ne ressort donc de ces débats étalés sur plus de deux mille ans. Au XIXe siècle, l’avènement du romantisme, du réalisme et des autres ismes déplace quelque peu le débat en lui donnant une dimension sociale. Le beau qui doit être défendu par l’art officiel redevient fonctionnel, éducatif et moral, tel qu’il en ressort, par exemple, du discours du Comte Walewski à l’occasion de la cérémonie de distribution des récompenses du Salon de 1861 : « C’est un devoir pour ceux qui ont mission de veiller au mouvement des lettres et des arts de lutter courageusement contre les écarts en vouant un culte exclusif à ce qui élève l’âme, à ce qui ennoblit la nature humaine, en renversant sans merci les autels des faux dieux, alors même qu’ils sont soutenus par une popularité éphémère et encensés par un public égaré. »[15] C’est donc ainsi que Courbet, Manet, les impressionnistes…, de par leur intérêt pour des sujets banals, produisaient, ipso facto, du laid. Pierre Bourdieu, se penchant sur Manet et son temps,[16] fait du champ artistique de cette époque un lieu d’interactions entre plusieurs acteurs aux motivations souvent divergentes : le créateur, le spectateur, la critique, l’institution, les coopératives et associations, les marchands…
Le début du XXe siècle, avec l’avènement du fauvisme, du cubisme et de l’abstraction picturale devait définitivement chambouler ces perspectives. Duchamp et ses ready-mades, la découverte d’arts extra-européens puis l’émergence de l’art conceptuel signeront leur arrêt de mort. Même si les opposants initiaux à tous ces mouvements s’accordent pour critiquer la laideur de leurs productions, un consensus mou se dégage progressivement pour considérer que la recherche du beau – quel que soit le flou de sa définition – n’est plus l’enjeu exclusif ni même essentiel de la démarche artistique. Les régimes totalitaires – stalinisme, nazisme, maoïsme… – donneront à l’art un rôle uniquement pédagogique, celui de promouvoir l’idéologie du pouvoir, suscitant, par réaction, des mouvements mettant en avant la transgression des règles morales et/ou sociales, la rupture.
Qu’attend-on d’un artiste en ce début du XXIe siècle ? Non plus du beau, notion toujours aussi insaisissable, mais plutôt quelque chose qui s’adresse aux sens, à l’émotion ou à l’intellect. Pour le distinguer des effets de la nature, ce quelque chose doit résulter d’une action délibérée d’un créateur même si, comme dans les ready-mades, cette action se réduit à choisir et à montrer un objet préexistant. La dimension subjective est donc mise en avant puisque deux spectateurs-récepteurs ne réagiront pas nécessairement de la même façon devant le même artefact. L’art devient donc un moyen de transmission, un langage, au sens saussurien de ce terme : la faculté générale de pouvoir s’exprimer au moyen de signes. Le débat sur une œuvre d’art se transforme donc en une appréciation de son signifiant et de son signifié. « Le signifié et le signifiant contractent un lien »[17] écrivait Ferdinand de Saussure. C’est bien ce lien, profondément polysémique, qui devient l’enjeu de l’œuvre d’art, le substitut à la question du beau.
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2. La reproductibilité technique
En 1931, dans sa Petite histoire de la photographie, Walter Benjamin caractérise l’œuvre d’art unique par ce qu’il appelle son aura. L’aura benjaminienne est, selon sa définition, l’« unique apparition d’un lointain, quelle que soit sa proximité. »[18] Elle est liée aux circonstances uniques, géographiques, historiques, sociales, et temporelles de son apparition. Ces circonstances ne peuvent donc pas être reproduites, pas plus que l’on ne peut recréer un instant passé. L’inaccessibilité de l’art pour le plus grand nombre, l’utilisation des oeuvres, pendant longtemps, dans un contexte essentiellement religieux, leur confèrent ce halo de magie rituelle, mystérieuse qui perdure jusqu’aux temps modernes, notamment à travers la notion d’art pour l’art.
L’avènement de la lithographie, puis de la photographie a bouleversé ces concepts. En 1936, dans L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, Benjamin constate que la possibilité de reproduire, de multiplier quasiment à l’infini une œuvre d’art, lui fait perdre ce caractère unique et, partant, son aura. La copie, placée dans un nouveau contexte, prend son autonomie géographique, historique, sociale et temporelle par rapport à l’original. Elle devient plus accessible. La multiplication des contextes possibles de sa monstration se traduit en une décontextualisation de la matrice originelle. L’œuvre abandonne donc, avec son unicité, sa part de magie rituelle, son mystère, son aura. Elle devient objet commercial.
Conscients de cette banalisation de l’œuvre, les artistes ont tenté d’y remédier en conférant à chacune des copies une identité propre. C’est le principe de la limitation du nombre des copies, de la signature et de la numérotation des épreuves, de la notion de tirage vintage… Les originaux multiples de Fautrier ressortissent aussi à cette stratégie. Toutes dérisoires tentatives pour essayer de recréer cette aura perdue.
D’un autre point de vue, la copie, que ce soit de productions nouvelles ou de chef-d’œuvres du passé, répond à un souci pédagogique de démocratisation de l’accès à l’art. Avec la généralisation d’Internet, les grandes œuvres historiques sont, aujourd’hui, plus connues par leurs reproductions largement accessibles sur le web que par la fréquentation des musées qui les abritent. On peut même, en quelques clics, reconstituer virtuellement des retables dont les éléments démembrés se trouvent éparpillés aux quatre coins du monde.
Le phénomène de diffusion d’œuvres nouvelles par des reproductions n’est pas nouveau en soi. Les œuvres du Salon étaient, au XIXe siècle, vulgarisées – y compris sous la forme de caricatures ou de pastiches – dans les périodiques. Jean-Léon Gérôme, académicien, a assis sa notoriété et son succès commercial sur une politique volontariste de diffusion de ce que l’on nommerait aujourd’hui des produits dérivés, sous la forme de gravures. Bien avant lui, les Hollandais de l’Âge d’Or produisaient des estampes en complément et en produits d’appel pour leurs peintures. De nos jours, Jeff Koons et Takashi Murakami en font de même.
La copie répond aussi à une logique économique en rendant des œuvres accessibles à un plus grand nombre de collectionneurs potentiels. Nombre d’entre eux ont commencé leur collection en réunissant des lithographies ou des multiples avant de se lancer dans l’acquisition d’œuvres uniques. Elle pose aussi la question de la protection des droits d’auteur et de la juste rétribution des créateurs.[19] Le cas le plus extrême est, aujourd’hui, celui des vidéastes qui sont amenés à matérialiser un objet immatériel sur un support matériel pour le rendre unique afin d’être en mesure d’en contrôler la commercialisation.
La réduction continuelle du coût des imprimantes à haute résolution et la prochaine généralisation des dispositifs de restitution en trois dimensions – les imprimantes 3D – vont accentuer le processus mais aussi susciter de nouveaux modes de création d’œuvres immatérielles, vendues en grandes quantités, à petits prix, et matérialisées par les acheteurs sur leurs propres équipements périphériques.
Avec les progrès continus de la technologie, on peut imaginer, à relativement brève échéance, la possibilité de reproduire des œuvres d’art de telle façon que les copies soient absolument indiscernables de l’original. Le mythe de l’unicité s’effondrera donc définitivement. Pour autant, l’œuvre d’art disparaîtra-t-elle ? Non. La meilleure preuve en est l’engouement pour la création photographique, multiple par essence, qui a définitivement pris son rang dans les pratiques artistiques. De façon assez paradoxale, cet art, après avoir été un auxiliaire docile de la diffusion d’œuvres préexistantes pourrait devenir le nouveau paradigme de la création plastique de demain.
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3. L’identification de l’œuvre
En 1964, Athur G. Danto découvre, à la Stable Gallery de New York, les Brillo Boxes de Warhol, ces boîtes en contreplaqué sérigraphié qui imitent à s’y méprendre les emballages de tampons à récurer disponibles dans les magasins à grande surface. Ces objets, extérieurement indiscernables de produits industriels, suscitent chez lui une réflexion sur la nature de l’œuvre d’art. Cette démarche n’est pas anodine. En effet, l’année suivante, les douanes canadiennes refusent au galeriste Jerrold Morriss, de Toronto, la qualification d’œuvre d’art pour les trente Brillo Boxes qu’il souhaitait importer pour une exposition. Le directeur du Musée des beaux-arts du Canada; Charles Comfort, dûment consulté, conclut qu’il ne s’agissait pas d’œuvres d’art mais bel et bien de marchandises taxables comme telles. Deux ans plus tard, sa remplaçante à la tête de l’institution, Jean Sutherland Boggs, acquit huit Brillo Boxes pour les collections nationales. En vingt-quatre mois, ces objets avaient donc changé de statut aux yeux des experts. Plus tôt, en 1926, les douanes étasuniennes avaient refusé de considérer l’Oiseau dans l’espace de Brancusi et dix-neuf de ses autres œuvres comme des sculptures et les avaient taxées selon un barème s’appliquant au métal brut. Après l’obtention d’une autorisation d’importation temporaire sous la rubrique « ustensiles de cuisine et matériels hospitaliers », il faudra attendre 1928 et l’intervention de nombreux artistes, critiques et conservateurs pour que la qualification d’œuvre d’art soit finalement retenue par l’administration.[20]
On le voit, le débat n’est pas nécessairement limité à la sphère du jugement esthétique. Il peut s’y greffer des enjeux économiques. Plus près de nous, la presse fait état, de temps à autre, d’œuvres d’art – notamment d’installations – détruites et mises à la poubelle par des agents en charge du nettoyage qui les ont considérées comme des déchets et traitées comme telles[21]. Les réactions à ces informations, quand elles sont relayées par la presse, donnent l’occasion aux populistes de tous bords de se faire l’écho de la majorité d’une opinion publique, conditionnée par une ignorance savamment entretenue par ces mêmes médias, et de proclamer haut et fort que l’art contemporain n’est qu’une supercherie. À titre anecdotique, j’ai pu sauver de l’effacement, in extremis, une œuvre qu’Olivier Michel avait réalisée au blanc d’Espagne sur la vitrine de la Galerie du Haut-Pavé, en 2002. Un des bénévoles, pourtant impliqué dans le monde de la création contemporaine, avait pensé que le nettoyeur de carreaux avait interrompu son travail et s’apprêtait à le parachever…
En 1981, dans un bref essai d’une rare fulgurance, The Transfiguration of the Commonplace, Danto livre le résultat d’années de réflexions sur cette question. Pour lui, une œuvre d’art ne l’est qu’à deux conditions nécessaires cumulatives 1) être à propos de quelque chose (to be about something) et 2) donner corps à sa signification (to embody its meaning).
Cet ouvrage magistral distingue ce qui appartient à la théorie de l’art de ce qui est traditionnellement confondu avec elle : la théorie esthétique. Pour Danto, la représentation est un signe.[22] Il s’agit bien ici de représentation et non d’image[23], comme un certain nombre de ses détracteurs, qui l’ont mal lu, veulent le lui faire dire. Son propos est essentiellement à caractère ontologique et son approche sémiotique. Selon lui, de par sa nature métaphorique, expressive, l’œuvre d’art dépasse largement le contenu concret ou sémantique de ses constituants. Son statut est modifié en étant soumis à une multitude d’interprétations. D’un certain point de vue, chacune de ces lectures devient une nouvelle œuvre, qui altère la nature et le statut ontologique de l’objet matériel constituant.
Pour Danto, la question de l’art est, dans son essence, philosophique, métaphysique. L’artiste, dans la représentation qu’il livre de sa manière de voir le monde, invite le spectateur à s’identifier à lui, ce qui n’est possible que par le recours à la pensée et/ou à la théorie. La beauté d’un artefact ne relève pas de critères perceptifs ou affectifs, mais découle de la signification que le spectateur veut bien lui attacher, cette signification pouvant changer au fil du temps ou en fonction de la découverte de détails ou d’aspects nouveaux qui modifient l’interprétation. Et le philosophe de conclure qu’une œuvre d’art est donc nécessairement distincte d’un objet du monde, même si elle en est apparemment indiscernable. Un rien, un titre, une mise en contexte, un détail, un commentaire suffisent pour en changer la valeur esthétique, la signification plastique. Plus généralement, toute œuvre, même la plus figurative, la plus mimétique, relève d’une approche théorique. Ce point de vue dépasse donc très largement le sujet initial des œuvres visuellement non discernables d’objets manufacturés.
Le parallèle avec la langue, et plus singulièrement avec la poésie, s’impose avec force. Les matériaux du poète – les mots – sont, pris isolément, en dehors de tout contexte, par nature, vulgaires (commonplace dirait Danto). C’est l’intersection de leur mise en contexte et de la lecture qu’en fait le récepteur qui leur donne toute leur valeur. Comme pour une œuvre plastique, les deux conditions nécessaires à remplir sont que le créateur ait quelque chose à dire et que son œuvre matérialise bien ce message, même si le contrôle lui échappe dès lors que le lecteur-récepteur s’en empare. La force d’un jardin zen, fait de riens – quelques pierres et des graviers ratissés – illustre bien ce que Danto veut nous faire comprendre.
En résumé, la mayonnaise ne prend bien que si 1) le créateur a quelque chose à dire, 2) il maîtrise une technique lui permettant de communiquer – de signifier – son message dans son œuvre, 3) le spectateur-récepteur accepte de regarder et de lire ce que le créateur a voulu dire, quitte à en tirer des conclusions différentes de ce que l’artiste a voulu initialement signifier.
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Quelles conclusions tirer de ces diverses considérations très structurantes pour toute analyse du champ de l’art contemporain ? Il me semble que les cinq points suivants résument assez bien le débat et devraient permettre de revaloriser, de remettre en perspective, une activité créatrice, socialement et sociétalement indispensable, mais injustement méprisée, conspuée, caricaturée ou ridiculisée.
- L’art est un langage. Comme tout langage, il ne joue son rôle que s’il a un message à délivrer et à transmettre. En l’absence de message, la pratique artistique devient stérile et relève de l’ornementation, du décoratif pur. Le message peut prendre des natures très différentes : politique, sociale, symbolique, personnelle, universelle, sociologique… y compris des considérations auto-réflexives sur le statut même de l’œuvre d’art.[24]
- L’aptitude à transmettre un message dans une œuvre d’art requiert des compétences, la maîtrise d’une ou de plusieurs techniques, qui peuvent s’acquérir ou être innées mais n’en sont pas moins indispensables. Les formations traditionnelles par les écoles des beaux-arts et l’ancrage dans une tradition n’en ont pas l’exclusivité. L’expressivité signifiante des art-brutistes, par exemple, en témoigne pour qui en douterait.
- Pour que la communication soit effective, il faut un récepteur prêt à regarder et à interpréter l’œuvre. Compte tenu de la multitude de sollicitations visuelles auxquelles le regardeur potentiel est soumis, il faut, pour retenir son attention, que l’œuvre se distingue de la masse des autres stimuli visuels auxquels il est soumis par une forme d’originalité, se démarque des recettes ressassées du déjà-vu. La provocation est un ressort souvent mis en avant, mais l’excès de provocation crée rapidement une forme d’académisme de la transgression qui finit par ne plus capturer l’attention.
- Si la perception de l’intérêt d’une œuvre – de son éventuelle qualité esthétique, de sa beauté – reste essentiellement subjective, dépendante du contexte, de l’acquis du spectateur – de son habitus[25] –, elle s’appuie cependant sur l’existence préalable des trois critères objectifs précédents.
- Plus une œuvre suscitera de lectures différentes, d’interprétations distinctes, convergentes ou divergentes – plus elle sera polysémique –, plus elle sera riche et digne de fasciner le plus grand nombre de regardeurs et, partant, d’accéder à une certaine forme d’universalité.
Louis Doucet, février 2014