Le poil à gratter… 
Lettre d’information de Cynorrhodon – FALDAC  
www.cynorrhodon.org  


N° 3 – décembre 2012  

  ISSN 2264-0363
 

Dessin(s)
Carte blanche à Annick & Louis Doucet
Vernissage le mercredi 12 décembre, à partir de 18h
Exposition du 12 décembre 2012 au 17 mars 2013, du mercredi au dimanche, de 14h à 18h
Commanderie des Templiers de la Villedieu – 78990 ÉLANCOURT
274 œuvres de 91 artistes de la Collection Cynorrhodon – FALDAC











































Pline l’Ancien raconte, au livre XXXV de ses Histoires Naturelles, comment la fille du potier corinthien Butadès, le premier, selon la légende à avoir modelé des figurines en terre, traça sur le mur, à l’aide d’un morceau de charbon de bois, le contour de l’ombre de son fiancé qui partait à la guerre. Le peintre belge Jean Benoît Suvée (1743-1807), bête noire de David, en tira, en 1791, une toile qu’il intitula L’Invention de la peinture. Ce titre est inexact et trompeur. Pline poursuit en effet son histoire en expliquant que la jeune fille appliqua une couche d’argile, en respectant le contour dessiné sur le mur, la détacha, puis la mit au four pour obtenir un portrait durable de son amant. Suvée aurait donc dû intituler son œuvre L’Invention du portrait. Mais, en l’occurrence, le titre aurait aussi été usurpé puisque Butadès père pratiquait déjà le portrait en terre cuite en modelant des figurines. Ce que la jeune Corinthienne a inventé, c’est le dessin. Et cette légende attribue déjà au dessin deux de ses caractéristiques essentielles : l’intermédiaire et le mémorial.

Intermédiaire – Dans le récit de Pline, le tracé sur le mur ne constitue qu’une étape dans le processus de réalisation du portait en terre cuite. Le dessin n’a aucune vertu de produit fini. Il n’a servi que dans une étape intermédiaire – décisive, certes – du processus d’élaboration d’une œuvre plus noble, présentable, non sujette à l’éphémère. Il contribue à un projet. Il est projet. Le mot dessin tire d’ailleurs son étymologie du mot dessein. Il faut attendre le XVIIIe siècle pour que ces deux mots prennent des sens distincts, introduisant un nouveau niveau conceptuel dans le processus créateur :

dessein /intention ⇒ dessin/matrice ⇒ projet/réalisation ⇒ objet/produit fini

En revanche, le mot motif continue à garder ses deux significations d’intention et de matrice. Le verbe dessiner se confond avec le verbe désigner jusqu’à la fin du XVIe siècle. Ces deux mots puisent dans un fonds commun de sens qui gravitent autour des notions de reconnaissance et de signalement. Le dessin est donc aussi ce qui permet de distinguer, de révéler, de séparer, de réduire les incertitudes ou les ambiguïtés. Le dessin est un moyen de simplifier, d’ordonner la confusion ambiante. C’est un moyen pour révéler l’essentiel. Ne dit-on pas, dans le langage courant, « je ne vais pas te faire un dessin » pour éviter d’entrer dans le développement d’une explication jugée inutile ou superflue ?

Mémorial – L’histoire de Pline ne pouvait que finir tristement. Le jeune amant meurt à la guerre. Sa fiancée éplorée n’a plus que l’effigie en terre cuite, le produit du dessin, pour se remémorer les traits du disparu. Le dessin est donc ici ce qui subsiste, la relique, au sens étymologique de ce terme, de quelque chose qui a existé et qui n’est plus. Dans un processus régressif par rapport à celui de la création, le dessin devient un substitut, par défaut, à ce qui n’est plus accessible. Et si le dessin venait à disparaître[1], c’est plus la mémoire du dessin que celle de l’objet initial qui se substituera à l’objet disparu :

objet devenu inaccessible ⇐ dessin ⇐ image mentale du dessin disparu

Bien avant l’avènement de la photographie, le dessin, même schématique, était le seul moyen de fixer les réalités avant qu’elles ne s’échappent. Il reste encore le moyen le plus simple pour fixer des concepts fugitifs et empêcher leur disparition ou leur effacement[2]. Aujourd’hui encore, en cas de constat amiable suite à un accident de la circulation, les compagnies d’assurance ne demandent-elles pas aux parties concernées de matérialiser les faits par un dessin, aussi sommaire soit-il ?


Au XIXe siècle et au début du XXe siècle, la définition du dessin commence à prendre de l’autonomie par rapport au rôle fonctionnel qui lui était jusqu’alors dévolu. Sa différentiation d’avec la peinture devient de plus en plus arbitraire. On convient que le dessin est essentiellement monochrome, même s’il peut être colorié dans un second temps de sa réalisation, tandis que la peinture reste colorée, même si l’on peut peindre en grisaille ou en camaïeu. Le sens commun verra un dessin là où les tracés et les contours restent apparents et nommera peinture une œuvre où prédominent les aplats et les taches colorées ou non. Delacroix peint. Ingres dessine.

Les dessins, les œuvres sur papier, matérialisent des desseins privés, intimes, doublés d’un relent d’illicite ou d’interdit. C’est dans cette étroite zone de tangence et de tension entre la sphère de l’intime et celle du regard public normatif, critique, voire pudibond, que se situe le dessin. C’est ce qui en fait l’intérêt, l’attrait, mais aussi le danger. Un danger qui a tous les charmes de la belle fleur vénéneuse, du fruit défendu, de l’interdit, mais aussi de l’inconnu. Pour un artiste, montrer un dessin, c’est se dévoiler, exhiber une partie de sa sphère intime en prenant le risque d’en exposer les contradictions, les incertitudes, les irrésolutions. Et c’est ce qui fait notre bonheur, à nous, spectateurs mués en regardeurs-voyeurs…

En ce début de XXIe siècle, le dessin a définitivement gagné un statut de mode d’expression artistique autonome. De fait, toute œuvre sur papier qui n’est pas un multiple est, aujourd’hui, considérée comme un dessin. C’est donc le support utilisé qui confère à l’œuvre le statut de dessin et non plus le rôle d’intermédiaire ou de mémorial dans un processus créatif, ni même les notions de ligne, de contour ou de tracé. Pour qui en douterait encore, il suffirait, pour l’en convaincre, de parcourir les allées du Salon du dessin contemporain[3]. C’est le recours au papier qui fait désormais le dessin.

Mais cette association du dessin avec le papier est sur le point d’être remise en cause. On parle de plus en plus de dessin numérique. Certes, il est visualisé sur du e-paper, un papier, après tout, du moins dans sa dénomination, même s’il n’en a que très peu de caractéristiques. Les alternatives au e-paper commencent aussi à fleurir, une des dernières en date étant le Boogie Board, résurrection, à l’âge du tout-électronique, de l’ardoise magique de notre enfance, accessible pour moins de 100 €… Le dessin numérique peut aussi s’animer et rejoindre, par des chemins de traverses, la vidéo ou le film…

Confusion des genres ? Non.

L’exposition Dessins(s) permet de prendre conscience de la force de la pratique contemporaine du dessin dans son immense variété de sujets, de techniques et de modalités d’expression. Elle présente un peu plus de 250 dessins – choisis parmi plus de 4 000 – de 93 artistes vivants, souvent jeunes, appartenant à la collection Cynorrhodon – FALDAC. Les artistes sont pour la plupart français ou travaillant en France, mais, au total, une douzaine de nationalités sont représentées, avec de forts contingents allemands et étasuniens.

Pour tenter d’appréhender la diversité, la richesse et la complexité de ce champ, un parcours en trois sections, indépendantes, mais complémentaires, est proposé.

La première section – Sujets –, la plus importante par le nombre de dessins exposés, a pour ambition de montrer l’étendue du spectre des sujets abordés par les artistes, avec des ancrages dans la tradition et des ruptures avec celle-ci. Elle propose de passer en revue quelques-unes des thématiques, des sujets, qui alimentent la pratique du dessin contemporain. Neuf thèmes y sont développés :

  1. constructions – s’intéresse à des artistes qui recourent à des processus prédéfinis, algorithmiques ou intuitifs, pour développer leurs dessins ; certaines de leurs productions relèvent de ce que l’on a coutume d’appeler art construit ; d’autres y échappent ;
  2. caricature et dérision – propose des œuvres de quelques artistes qui usent de leur dessin comme une arme à des fins de protestation, de critique, de revendication, de contestation ou de dérision, politique ou sociale ;
  3. histoires, historiettes et anecdotes – se penche sur la persistance de la narration dans la pratique du dessin contemporain ; les propos peuvent être factuels ou transposés en allusions, jouant souvent sur la polysémie propre aux représentations visuelles ;
  4. dessin-dessin et fractures – se concentre sur des artistes qui font du dessin un moyen de délectation ; est posée, cependant, la question de comment arrêter, fracturer un dessin pour qu’il soit autre chose qu’un exercice de style stérile ;
  5. les bruts – présente des artistes, parfois, mais pas nécessairement, autodidactes, qui revisitent l’esprit et la mouvance de l’art brut ;
  6. persistance du paysage et de la nature morte – aborde la façon dont ces deux thématiques, vieilles comme le dessin, sont transfigurées par les artistes contemporains ;
  7. mythes et archéologies – s’intéresse à des productions qui puisent dans un terreau historique ou mythique, réel ou imaginaire ;
  8. Le corps et la tête – illustre la permanence de la thématique, pourtant décriée et conspuée par les avant-gardes, du corps humain dans les préoccupations des dessinateurs de notre temps ;
  9. rêves, cauchemars et surréel – traite d’œuvres d’artistes qui, dans la descendance du surréalisme, font de l’onirisme leur source ou une de leurs sources d’inspiration.

La deuxième section – Techniques – présente un large spectre de pratiques et de techniques, conventionnelles ou non, y compris certaines qui, en première analyse, ne semblent pas relever de la définition du dessin telle qu’on l’entend habituellement. Sont abordés successivement :

  1. le recours à des gestes répétitifs et/ou obsessionnels, à petite ou à grande échelle, dans des expressions figuratives ou abstraites ;
  2. la pratique du dessin dans l’espace, certains artistes produisant des œuvres en trois dimensions se définissant plus comme dessinateurs que comme sculpteurs ;
  3. la dimension temporelle, avec des vidéastes qui produisent leurs œuvres à partir de dessins au trait ;
  4. le dessin dématérialisé, distribuable par des moyens électroniques et restituable sur des tablettes numériques ;
  5. le recours à des techniques d’agression du support du dessin, par brûlure, perforation, perçage, déchirure, scarification, lacération… ;
  6. des pratiques produisant des œuvres qui, en première lecture ne semblent pas être des dessins, comme on l’entend traditionnellement, mais que leurs auteurs revendiquent comme tels.

La troisième et dernière section – Géographies – propose une approche territoriale du dessin en se focalisant sur deux pays, insistant sur les points communs qui unissent les artistes de chacun de ces deux pays, mais aussi sur ce qui les sépare et les distingue. Elle tente de montrer des ancrages dans une certaine tradition, des divergences et des points de rassemblement. Ces pays ont été retenus, à titre d’exemple, et en complément de ce qui peut être vu dans les deux sections précédentes de l’exposition :

  1. l’Allemagne – avec une persistance constante de l’expressionnisme, plus ou moins mâtiné de romantisme et fortement ancrée dans une tradition littéraire ;
  2. les Etats-Unis – où domine une critique, parfois cruelle ou sarcastique, de la société, dans des formes de figuration qui empruntent souvent à la bande dessinée ou à la publicité.


Une telle division est nécessairement arbitraire et montre ses propres limites, car certains artistes pourraient probablement figurer dans plusieurs de ces sections. Elle a cependant pour vertu de prendre une position, de provoquer un mode de vision et de regard, afin de susciter des réactions et des contre-propositions de la part des visiteurs. Car le pire ennemi de l’art contemporain, c’est l’indifférence

Louis Doucet



[1] Involontairement, le plus souvent, mais cela peut aussi être volontaire, par iconoclasme, par exemple, ou comme Robert Rauschenberg effaçant un dessin de Willem De Kooning.
[2] Voir, par exemple, les manuscrits de Léonard de Vinci.
[3] D’ailleurs rebaptisé Drawing Now Paris.




Artistes exposés

Samuel Aligand • Anne-Sophie Atek • Erwan Ballan • Pascale Baud • Élise Beaucousin • Maya Benkelaya • Ode Bertrand • Lucie Bitunjac • Elvire Bonduelle • Philippe Boutibonnes • Élodie Boutry • Claude Briand-Picard • Vincent Bullat • Benoît Carpentier • John Casey • Claude Cattelain • William Chattaway • Guillaume Constantin • Flavie Cournil • Nathalie Da Silva • Frédéric Daviau • Davmo • Dominique De Beir • Raffaella Della Olga • Diogène • Dirk Dombrowski • Marine Duboscq • Thomas Egeler • James Fancher • Jean-Louis Gerbaud • Hermann Geyer • Gilles Guias • Cristine Guinamand • Sylvie Guiot • Alexandre Hollan • Djoka Ivackovic • Marion Jannot • Marine Joatton • Daniel Johnston • Jean-Luc Juhel • Wolfram Kastner • Frank Kienberger • Maëlle Labussière • Jérémy Laffon • Max Lanci • Peter Max Lawrence • Guy Le Meaux • Christian Lefèvre • Frédérique Loutz • Dominique Lucci • Frédéric Magnan • Philippe Martinery • Ronald Mauthe • John McLaughlin • Jean-Michel Messager • Jürgen Meyer • Olivier Michel • Jean Boskja Mißler • Johannes Möstl • Franck Mouteault • Knut Navrot • Michel Nedjar • Richard Negre • Soeren Neuperti • Patrice Pantin • Manuel Parrès • Christian Paulsen • Antoine Perrot • Anna Picco • Pascale Piron • Charlotte Puertas • Michel Raba • Pierre-Alexandre Remy • Anne Marie Rognon • Frank Schwarzinger • Elmar Seifert • Nicolas Simonin • Jack Skysegel • Anne Slacik • John Christoph Dionysos Sommersberg • Pierrick Sorin • Emma Souharce • Michael Stilkey • Michel Suret-Canale • Abdelkrim Tajiouti • Alain Trez • Christèle Veaux • Cécile Wautelet • Karl Friedrich Elias Weisgärber • Gernot Wieland • Karolina Zalewska

Les Filtres de Nicolas Beaud











« Le gris est le cendrier du soleil. »
Malcolm de Chazal, in Sens plastique

Depuis plusieurs années, Nicolas Beaud tente d’épuiser la thématique du mélange de couleurs primaires en quantités égales pour donner, par synthèse additive, du gris, non-couleur, au même titre que le blanc et le noir.

    Il n’a pas fallu attendre les écrits de Pline l’Ancien, ni les travaux de Goethe, de Newton ou de Chevreul sur le prisme optique pour que le processus de décomposition de la lumière du jour, incolore, en un spectre coloré soit connu. Il l’est depuis les temps les plus reculés et a entretenu une multitude de mythes. Le récit du livre de la Genèse fait, par exemple, de l’irisation de l’arc-en-ciel le signe de l’Alliance entre Dieu et son peuple.

    Le propos de Nicolas Beaud est à l’opposé de celui-ci, puisqu’il part de couleurs, qu’il superpose pour fabriquer du gris, des gris. Là où le prisme déconstruit, Nicolas Beaud reconstruit. On pourrait, au premier abord, penser qu’il s’agit d’un processus d’appauvrissement, d’augmentation d’entropie, de dilution d’identités signifiantes dans la neutralité d’un anonymat. Gauguin, se rebellait contre les non-couleurs : « Rejetez le noir, et ce mélange de blanc et de noir qu’on nomme le gris. Rien n’est noir, rien n’est gris. Ce qui semble gris est un composé de nuances claires qu’un œil exercé devine. »[1] Si l’on osait hasarder un parallèle avec la sculpture, le prisme optique procède par dispersion, se rapprochant de la technique soustractive de la taille directe, tandis que Nicolas Beaud, dans un processus additif, est plutôt modeleur, modeleur de couleurs, de lumière.

    Après avoir longtemps procédé en superposant, dans un processus minutieux faisant penser au travail du laqueur, des couches de couleurs uniformes sur des toiles, Nicolas Beaud s’est approprié une technique plus mécanique, remplaçant la peinture par la superposition de trois ou quatre films en gélatine colorée, des filtres. On pense au propos de Bachelard : « Avec les êtres vivants, il semble que la nature s’essaie à la facticité. La vie distille et filtre. »[2] Nicolas Beaud, en nouveau démiurge, s’essaie à la facticité en distillant et filtrant la lumière…

    Ingénieur de formation, Nicolas Beaud ne choisit pas la voix la plus simple, celle qui, par exemple, pour produire un gris moyen (RVB = 128, 128, 128) avec trois filtres superposerait un rouge moyen (RVB = 128, 0, 0), un vert moyen (RVB = 0, 128, 0) et un bleu moyen (RVB = 0, 0, 128). Ses filtres colorés ne sont pas de couleurs primaires, mais déjà des mélanges optiques de ces trois couleurs. Sa démarche consiste donc à résoudre le jeu d’équations :

             F1[R] + F2[R] + F3[R] = 128
             F1[V] + F2[V] + F3[V] = 128
             F1[B] + F2[B] + F3[B] = 128

où F1, F2 et F3 désignent les trois filtres superposés, et [R], [V] et [B] leur contenu respectivement de rouge, de vert et de bleu. Ces équations ont, en théorie, une multitude de solutions. Plus encore lorsque l’on superpose quatre filtres ou plus. Cependant, le problème se complique singulièrement quand on sait que les filtres disponibles dans le commerce – ceux que Nicolas Beaud utilise – n’offrent qu’un nombre restreint de combinaisons de [R], de [V] et de [B]. Les solutions ne sont alors qu’en petit nombre, quand elles existent, et requièrent des calculs qui relèvent plus de la pratique du sudoku que de l’algèbre élémentaire.

    Les premières pièces à base de filtres étaient planes avec, parfois, des découpes en forme de lucarnes ou d’anneaux dans les différentes épaisseurs, comme des témoins d’étapes intermédiaires dans le processus de recouvrement. On pense à ces marques de couleurs que les imprimeurs laissent dans les marges des épreuves pour étalonner leurs machines. Petit à petit, les Filtres de Nicolas Beaud ont acquis une troisième dimension. Les planches colorées partagent une arête commune et s’ouvrent en éventail, constituant un volume, parfois monumental, en forme de… prisme… Mais ce prisme est, en fait, un anti-prisme optique. Il ne diffracte pas la lumière mais la condense, un peu à la façon dont les trous noirs des astrophysiciens ont un champ gravitationnel si intense qu’il empêche toute forme de matière ou de rayonnement de s’en échapper. On peut en faire le tour et, en quelque sorte, démonter intellectuellement le processus de synthèse additive du gris, en obtenant, par des positionnements successifs autour de la pièce, des effets d’irisation ou d’interférences…

    Car, il faut l’avouer, dans les Filtres plats comme dans ceux en volume, ce qui est le plus intéressant, ce sont les bords, les lisières, là où le gris s’irise de multiples nuances colorées, où l’accident devient monument, au sens étymologique de ce mot : un objet qui atteste l’existence, la réalité de quelque chose et qui peut servir de témoignage. Au terme bordure, à la lisière, je préfère la clairière, la Lichtung[3] allemande, car elle contient le mot Licht – la lumière – celle que Goethe revendiquait dans ses dernières paroles, sur son lit de mort : « Mehr Licht! Mehr Licht! »[4] Dans ces zones entre chien et loup, le gris se délite, révèle sa composition intime, l’envers du décor. Après avoir été captée, engloutie, distillée, digérée, grisifiée par les filtres, la lumière blanche resurgit timidement, décomposée, irisée, avec une force qui saisit le spectateur par surprise, comme par effraction. Synthèse et analyse se retrouvent réconciliées et, ce, d’autant plus que le gris est intense. On peut y voir une lecture au premier degré du propos de Sartre : « Plus claire la lumière, plus sombre l’obscurité... Il est impossible d’apprécier correctement la lumière sans connaître les ténèbres. »

    Louis Doucet, octobre 2012



[1] In Avant et après.
[2] In Le matérialisme rationnel.
[3] Aussi à cause des trois admirables compositions du regretté Emmanuel Nunes, Lichtung I, II et III, pour ensemble et électronique, chefs-d’œuvre de contrastes entre ténèbres et lumière.
[4] Plus de lumière ! Plus de lumière !

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JEUNE
Geoffroy
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Hiroko
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Dominique
MOREAU
Marine
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Subjectiles III
vient de paraître





Ce troisième volume de Subjectiles diffère des précédents.
Au-delà des textes monographiques consacrés à de jeunes artistes, on y trouvera quatre relectures ou commentaires de chefs-d’œuvre du passé, des considérations sur la thématique de l’inéluctable émergence du dessin et de la peinture numériques et des prises de position sur le triste sort que la société française réserve à la création contemporaine et à ses acteurs.

Les véritables créateurs sont, aujourd’hui, tenaillés entre une mode institutionnelle qui promeut des productions dont l’Histoire ne retiendra rien et une réaction conformiste, rétrograde, qui tente de faire resurgir des modèles éculés. Étouffer l’art de notre temps, ce n’est pas seulement prendre le risque de passer pour des imbéciles aux yeux des générations futures, mais c’est surtout rater une immense opportunité de promotion de la diversité intellectuelle. C’est manquer une chance unique pour notre société en quête de valeurs, de plus de sens, de plus de cohérence.

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Place du Général-De-Gaulle – 59140 DUNKERQUE


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