Exposition




Collectionner

Œuvres de la collection Annick & Louis Doucet – Cynorrhodon FALDAC

Présentation de l’exposition organisée du 16 au 27 septembre à la Mairie du 8e arrondissement de Paris

Artistes exposés
Samuel Aligand • Olivier Baudelocque • Huguette-Arthur Bertrand • Hervé Bourdin • Claude Briand-Picard • Jean-Philippe Brunaud • Serge Charchoune • Aurel Cojan • Louis Cordesse • Olivier de Coux • Nathalie Da Silva • Dominique De Beir • Olivier Debré • Jean Deyrolle • François Dilasser • James Fancher • Albert Féraud • Jean-Louis Gerbaud • Gilles Guias • Jean Hélion • Renaud Jacquier Stajnowicz • François Jeune • Marine Joatton • Paul Kallos • Eugène de Kermadec • Charles Kvapil • Maëlle Labussière • Max Lanci • André Lanskoy • Charles Lapicque • Guy Le Meaux • Élissa Marchal • André Marfaing • Olivier Michel • Hiroko Palmer • Patrice Pantin • Antoine Perrot • Pascal Pesez • Pierre-Alexandre Remy • Emmanuel Rivière • Pierre Tal-Coat • Dominique Thiolat • Tanguy Tolila • Éva Tourtoglou Bony • Wabé


Catalogue électronique téléchargeable ici.



















Charles Camoin



André Lanskoy



Pierre Tal-Coat



Louis Cordesse



Guy Le Meaux



Marc Devade



Philippe Hosiasson



François Jeune



Dominique De Beir



Maëlle Labussière



Max Lanci



James Fancher



Gilles Guias



Marine Joatton



Olivier Michel



Marine Vu



Élissa Marchal



Claude Briand-Picard



Christophe Dalecki



Sylvie Mas



Maude Maris



David Ortsman


Jedes Kunstwerk ist eine abgedungene Untat.[1]
Kunst ist Magie, befreit von der Lüge, Wahrheit zu sein.[2]
Jedes Kunstwerk hat seinen unauflöslichen Widerspruch in der „Zweckmäßigkeit ohne Zweck“ durch die Kant das Ästhetische definierte; daran, daß es eine Apotheose des Machens, der naturbeherrschenden Fähigkeit darstellt, die als Schöpfung zweiter Natur absolut, zweckfrei, an sich seiend sich setzt, während doch zugleich Machen selber, ja gerade die Gloriole des Artefakts untrennbar ist von eben der Zweckrationalität, aus der Kunst ausbrechen will.[3]
Theodor Wiesengrund Adorno, in Minima Moralia.

Complices de crimes non perpétrés, défenseurs de magiciens ayant renoncé à sacrifier au culte de la vérité, champions de contradictions ontologiques, si l’on en croit Adorno, mon épouse et moi-même collectionnons l’art contemporain depuis plus de trente-cinq ans. C’est une passion qui a structuré – et continue à structurer – notre vie, quasiment au même titre que la naissance et la croissance de nos enfants. Elle a connu plusieurs étapes et des infléchissements successifs qui ont modelé la composition de notre collection mais aussi profondément modifié notre mode de vie et le regard que nous portons sur le monde.

Avant…
Étant né, dans les années d’après-guerre, dans une région en pleine reconstruction après les bombardements alliés, mon apprentissage de l’art s’est fait à travers les livres, scolaires ou empruntés à la bibliothèque, et les visites des grands musées français et européens, lors des voyages des vacances estivales avec mes parents. Ce n’est qu’à l’âge de quinze ans que je suis arrivé à Paris. L’âge de l’autonomie et de la découverte de la liberté. Ce sont surtout les expositions organisées au Musée national d’art moderne, alors installé au Palais de Tokyo, qui m’ont sensibilisé à l’art moderne et à la création contemporaine. Trois manifestations, en 1967, m’ont particulièrement marqué : des rétrospectives consacrées à Pierre Soulages et à Charles Lapicque et une exposition sur les frères Duchamp. Elles ont contribué à élargir le spectre de mes intérêts et à nourrir un goût éclectique qui ne demandait qu’à s’épanouir.

    Mon épouse, elle aussi née en province, dans un petit village rural, n’a pas eu accès direct à des créations artistiques en dehors des visites de musées pendant les congés d’été. Elle a très tôt marqué son goût pour l’accumulation en collectionnant les timbres-poste représentant des œuvres d’art. Ce n’est que lors de son installation à Paris, après notre mariage, qu’elle a pu enfin profiter pleinement d’une offre artistique ouverte sur la modernité et sur l’art de notre temps.

    Dès que nos moyens nous l’ont permis, nous avons commencé à acquérir des œuvres dans les ventes aux enchères à Drouot, alors installé dans l’ancienne gare d’Orsay, et en province. Nos premières folies nous ont poussés à acheter des peintures de Charles Camoin, Charles Lapicque, Jean Lambert-Rucki, Henri-Edmond Cross, Gustave Colin, Eugène de Kermadec, Émile-Othon Friesz… Les prix étaient alors relativement raisonnables mais, très vite, un engouement du public pour ces pièces a fait monter leurs prix et a rendu leur acquisition de plus en plus problématique.

    En 1979, lors de la deuxième et dernière vente de l’atelier d’André Lanskoy, nous étions assis derrière Jean Masurel qui rafla toutes les pièces significatives. Nous dûmes nous contenter de deux petites toiles, dont une esquisse non achevée qui, selon Catherine Zoubtchenko, proche collaboratrice de l’artiste et assise à nos côtés lors de la vacation, était sur le chevalet du peintre, au moment de son décès. La présentation, l’année suivante, au Musée du Luxembourg, de la donation de Geneviève et Jean Masurel à la Communauté urbaine de Lille, préfiguration du Musée d’Art moderne de Villeneuve-d’Ascq[4], allait nous conforter dans notre résolution.

Le déclic…
L’exposition Peintres de l’abstraction lyrique à Saint-Germain-des-Prés 1946 – 1956, organisée à la Mairie du VIe arrondissement de Paris, en juin et juillet 1980, a joué un rôle d’accélérateur pour notre passion commune. Nous y découvrions les travaux de peintres, encore vivants, de la génération de nos parents, dont les œuvres étaient visibles dans les galeries et beaucoup proposées à des prix accessibles en salle des ventes. Très vite, les volumes de L’art abstrait de Michel Seuphor (puis Michel Ragon et Marcelin Pleynet) sont devenus nos livres de chevet. Ce fut alors la révélation de l’art construit, de cette abstraction dite froide qui nous séduisit très rapidement.

    Les salons périodiques – Réalités nouvelles, Salon de mai, Grands et jeunes d’aujourd’hui – nous donnèrent une compréhension plus claire de ce qui se créait alors dans les ateliers. Nous éprouvions cependant une forme de frustration de ne voir qu’une seule œuvre exposée pour les artistes qui nous convainquaient le plus. La création, en 1984, du salon MAC2000, répondait enfin à nos attentes en permettant un contact direct avec l’artiste et une confrontation à un ensemble significatif de ses œuvres.

    Tous les samedis et les dimanches étaient désormais consacrés à l’art de notre temps. Nous emmenions, dans nos pérégrinations, nos deux enfants, alors en bas âge, qui ne protestaient que très mollement devant ces exercices imposés.

Le régime de croisière…
Nous avions pris nos habitudes dans un certain nombre de galeries qui contribuèrent grandement à former notre œil, à nourrir notre éclectisme et à enrichir notre collection. Il serait difficile de les citer toutes, mais quelques-unes ont joué un rôle plus important que les autres. La galerie Clivages, de Jean-Pascal Léger, avec ses trois piliers – Pierre Tal-Coat, Louis Cordesse et André Marfaing – et une riche programmation d’artistes plus jeunes, dont Guy Le Meaux… La galerie Regards, de Jacqueline et Pierre Boissier, avec la découverte de Marc Devade, Philippe Hosiasson mais aussi d’artistes de notre génération, au premier rang desquels François Jeune… La galerie Olivier Nouvellet, qui nous avait été recommandée par James Pichette, avec ses expositions courtes et éclectiques, et la découverte de Gilles Guias, tout juste sorti de l’adolescence, dont nous continuons, près de trente ans plus tard, à suivre le travail de près et à collectionner les œuvres… La galerie Lahumière, temple de l’art construit, dont le rôle fondamental dans la défense de cette forme d’expression ne sera jamais assez souligné… Et aussi Corinne Caminade, Bernard Jordan, Alix Lemarchand, Emmanuel Carlebach…

    On ne dira jamais assez le rôle fondamental des galeries dans la défense et l’illustration de l’art contemporain. Ce sont des endroits chaleureux, à dimension humaine, dont la visite est gratuite, sans obligation d’achat, avec une programmation riche, variée, couvrant tout le spectre de la création contemporaine. On peut y passer quelques minutes ou y rester des heures entières, profiter des commentaires de l’artiste ou du galeriste, d’explications qui valent toujours mieux que les pâles reflets de comptes-rendus aseptisés. Et pourtant, trop de personnes hésitent encore à franchir le seuil de ces lieux de culture, préférant s’exposer au vent et à la pluie, pendant de longues heures, faire la queue à l’entrée de la FIAC et payer un droit d’entrée exorbitant pour une manifestation commerciale où les vendeurs n’ont d’yeux et de temps à consacrer que pour les acheteurs internationaux qui se ruent tous sur les mêmes pièces à la mode.

    Le galeriste est un maillon indispensable dans la chaîne qui va du créateur au collectionneur. On peut, certes, faire de splendides découvertes en visitant des ateliers d’artistes sans galerie, mais cet exercice demande du temps et expose à de nombreuses déceptions et déconvenues. Le véritable galeriste décharge l’artiste du travail de promotion de son œuvre, lui donnant ainsi plus de temps pour se consacrer à la création… Et l’on sait combien le temps est précieux pour des plasticiens qui doivent, pour (sur)vivre, presque toujours cumuler leur activité avec un métier à caractère alimentaire.

    Simultanément, nous continuions à fréquenter les salles de l’Hôtel Drouot, de nouveau dans son site de la rive droite, et à y faire des acquisitions d’œuvres d’artistes plus anciens. Contrairement à ce que beaucoup de personnes pensent, nous n’avons jamais constaté de concurrence entre les salles des ventes – essentiellement vouées aux œuvres du second marché – et les galeries qui nous intéressaient, dévolues à la création, au premier marché. Notre collection s’agrandissait par des achats dont la cohérence ne nous importait guère, mais toujours sur des coups de cœur, tout juste tempérés par la relative modestie de notre portefeuille… Les regrets des occasions manquées étaient vite consolés par des succès sur d’autres pièces. En trente-cinq ans, nous n’avons jamais revendu une œuvre que nous avons acquise…

    Notre collection accueillait ainsi de nouveaux artistes : Guy Le Meaux, François Jeune, Pierre Tal-Coat, André Marfaing, Miklos Bokor, René Laubiès, Pierre Mounier, Patrick Meunier, François Dilasser, Colette Brunschwig, Christian Sorg, Joël Leick, Dominique Thiolat, Christian Bonnefoi, Christian Gardair… Mais aussi Jean Deyrolle, Marie Raymond, Gérard Schneider, Marcelle Loubchansky, Huguette Arthur-Bertrand, Olivier Debré, François Arnal, Bata Mihaïlovitch, Serge Charchoune, Gustave Singier, Pierre Dmitrienko, Jacques Germain, Paul Kallos, James Guitet, Luc Peire… Et beaucoup d’autres encore…

L’aventure du Haut-Pavé…
En 1996, la présidente de l’association de la Galerie du Haut-Pavé, vouée depuis plusieurs décennies à la découverte de jeunes artistes, me demanda de rejoindre son Comité de Programmation. J’acceptai avec enthousiasme. Pendant plus de quinze ans, j’ai vu passer des dossiers de jeunes créateurs et visité leurs ateliers. Mon épouse n’était pas étrangère à cette aventure puisqu’elle assurait – et continue à assurer –, les mardis, l’accueil des artistes en leur prodiguant des conseils sur la façon de bien ficeler un dossier, discipline non enseignée, apparemment, dans les écoles des beaux-arts.

    C’est ainsi que nous avons découvert, in situ, sur les lieux de leur genèse, les travaux de Patrice Pantin, Dominique De Beir, Max Lanci, Pascale Piron, Serge Jamet, Maëlle Labussière, Laurent Mazuy, Nicolas Simonin, Franck Mouteault, Erwan Ballan, Frédérique Loutz, Hiroko Palmer, Sylvie Guiot, Geoffroy Gross, Pierre Yerro, Guillaume Constantin, Cristine Guinamand, Olivier Michel, Marine Joatton, Emmanuel Rivière, Pierre-Alexandre Remy, Hervé Bréhier, Nicolas Beaud, Samuel Aligand, Saraswati Gramich, Christophe Dalecki, Estelle Contamin, Élise Beaucousin, Flavie Cournil, Emmanuelle Samson, Sébastien Pons, Richad Negre, Olivier de Coux, Lucie Bitunjac, Wilson Trouvé, Boris Raux, Laurence Papouin, Jean-Philippe Brunaud, Laurent Belloni, Charles Henry Fertin, Régis Sénèque, Marion Jannot, Marine Duboscq, Benoît Carpentier, Élodie Boutry, Sébastien Dartout, Sylvie Mas, Claude Cattelain, Nathalie Da Silva, Maude Maris… et beaucoup d’autres…

    C’est alors qu’un certain nombre d’artistes sélectionnés m’ont demandé d’écrire des textes critiques pour présenter et défendre leur travail. J’ai pu ainsi, malgré une activité professionnelle très prenante, réveiller ma passion, jamais vraiment endormie, pour l’écriture.

    Cette période fut aussi celle de la découverte d’autres lieux et institutions assurant la promotion de la jeune création : L’art dans les chapelles, dans le Morbihan, alors dirigé par Olivier Delavallade, L’H du Siège, à Valenciennes, géré par Philippe Bétrancourt et Pascal Pesez, Le pays où le soleil est toujours bleu, à Orléans, avec Laurent Mazuy et Sébastien Pons…

    Cette même période fut aussi, pour nous, celle d’un changement radical dans notre attitude de collectionneurs. La fréquentation de jeunes artistes, pendant la quasi-totalité de notre temps libre, nous a progressivement amenés à passer de la recherche d’une certaine délectation esthétique à une forme de militantisme. Pour nous, collectionner est graduellement devenu une façon d’affirmer nos convictions profondes : les arts plastiques sont indispensables à la société et constituent un admirable outil d’intégration sociale et de lutte contre la dictature de la pensée unique…

    En 2012, j’écrivais : « Même si, fort heureusement, le racisme primaire et le rejet des cultures et civilisations autres continuent à régresser et font l’objet d’un opprobre quasi unanime dans notre société, l’acceptation de la diversité, en ce qu’elle a de plus intime et personnel, tend à reculer. Accepter la diversité, c’est admettre que des modes de raisonnement différents des nôtres, des façons distinctes d’appréhender les mêmes faits réels ou mentaux, des chemins autres pour parvenir à l’épanouissement personnel et sociétal existent, sont viables, sources de richesse et non de dilution et d’appauvrissement. C’est accepter de remettre en cause ses habitudes, ses réflexes, d’aiguiser la curiosité, de se faire récepteur et non déflecteur de l’altérité.

    À l’opposé, Nietzsche[5], Mondrian[6] et bien d’autres font de l’artiste principalement un médiateur, un passeur, un révélateur, un canal. Mais toute médiation requiert deux parties et un vecteur entre les deux. Le vecteur, c’est l’art. L’une des parties, c’est l’artiste, l’autre le spectateur… Mais y en a-t-il encore, dans notre société corrompue par les conformismes, qui soient prêts à assumer ce rôle ? Rôle ô combien enrichissant, pourtant… »[7]

    Ce constat est, malheureusement, de plus en plus d’actualité…

Le militantisme…
En 2005, la proposition, faite par Hervé Bourdin, de l’aider à relever le salon MAC2000, devenu macparis, a immédiatement reçu notre aval car ce salon annuel répond à un besoin vital pour un grand nombre d’artistes qui, en dehors des feux de la mode éphémère, constituent le tissu de ce que l’Histoire retiendra de l’art de notre temps. En quelques années, nous avons réussi à redonner à cette manifestation un peu de son ancienne aura en la rendant plus représentative de ce qui se passe dans les ateliers d’artistes, dans ce champ, volontairement occulté par les médias, se situant à égale distance d’un spectaculaire superficiel et de l’éternel ressassement de formules éculées.

    Un peu auparavant, la fréquentation quotidienne des sites de ventes aux enchères sur Internet, m’avait permis de découvrir de nouveaux artistes, en dehors de l’hexagone. C’est ainsi que notre collection s’est alors enrichie de la quasi-totalité de la production graphique de James Fancher et de nombreux dessins de Dirk Dombrowski, de John Christoph Dionysos Sommersberg, de John McLaughlin, d’Ernst Kolb et d’autres artistes étrangers qui lui donnèrent une coloration résolument internationale.

    En 2011, avec la venue de l’âge de la retraite professionnelle et le surcroît de disponibilité pour nous livrer à notre passion commune, nous avons créé l’association sans but lucratif Cynorrhodon – FALDAC, dont l’objectif essentiel est de donner de la visibilité à des artistes de qualité – jeunes ou plus âgés – qui en manquent singulièrement. Tous les moyens sont bons : organisation d’expositions, écriture de textes pour présenter ou défendre des travaux, commandes d’œuvres, publication de livres d’artistes, conseils prodigués aux artistes en manque d’un regard tiers sur leur production… La lettre électronique mensuelle Le poil à gratter… diffusée à près de 9 000 lecteurs fidèles en constitue la partie la plus visible.

Aujourd’hui…
Comprenant près de 6 000 œuvres de plus de 700 artistes appartenant à plus de trente nationalités différentes, notre collection continue de croître. De façon assez paradoxale, à l’opposé de notre vieillissement naturel, elle a tendance à rajeunir, accueillant essentiellement des œuvres d’artistes de la génération de nos enfants, tout en restant fidèles à des artistes dont nous accompagnons la démarche quasiment depuis l’origine : Hervé Bourdin, Gilles Guias, Max Lanci, James Fancher, John McLaughlin, Dominique De Beir, Patrice Pantin, Marine Joatton, Olivier Michel, Maëlle Labussière…

    Contrairement au message véhiculé par les médias, collectionner n’est pas l’apanage d’une élite richissime. Pour le prix d’un écran plat, vite démodé, on peut acquérir une œuvre d’art originale de qualité, laquelle décevra probablement moins que les inanités diffusées par les chaînes de télévision, même vues sur un grand écran panoramique. C’est un choix de vie, une décision de gérer ses priorités autrement, de ne pas penser au regard normalisateur que les tiers portent sur nous pour prendre le temps de vivre autrement, plus librement : être plus que paraître… Il suffit de décider de changer de voiture moins souvent et de préférer la côte bretonne aux pistes de ski ou à la Côte-d’Azur… Pour qui en douterait encore, il suffit de rappeler le cas du couple de fonctionnaires new-yorkais Herbert et Dorothy Vogel qui, avec des revenus plus que modestes – moins de 20 000 € par an –, vivant dans un petit deux-pièces à loyer modéré, a constitué une collection de 4 800 œuvres d’art conceptuel et minimaliste qui font aujourd’hui la fierté d’un grand nombre de musées étasuniens. Notre façon de collectionner est devenue un geste de protestation contre la déculturation, contre l’omniprésence du prêt-à-penser, contre les jugements à l’emporte-pièce, contre les stéréotypes et les clichés qui normalisent, effacent les différences, visent à l’uniformité et stérilisent toute velléité de sortie des chemins battus. Nous pensons, par notre action, militer pour un monde meilleur qui s’enrichit des apports d’individus ayant des visions parfois opposées aux nôtres, qui se distinguent du troupeau de nos contemporains lobotomisés par les messages débilitants de la télévision. Ceux-là même qui nous démontrent, chaque jour, que la vie n’est pas univoque et morne, mais source d’incessantes découvertes, de surprises…

Louis Doucet, février 2014




[1] « Toute œuvre d’art est un crime à gages non perpétré. » , aphorisme N° 72.
[2] « L’art est la magie délivrée du mensonge d’être la vérité. », aphorisme N° 143.
[3] « Toute œuvre d’art contient une indissoluble contradiction dans son intentionnalité sans intention par laquelle Kant définissait l’esthétique, en ce qu’elle représente une apothéose du faire, de la capacité de contrôler la nature, qui se pose comme la création d’une seconde nature, absolue, sans but, autosuffisante, alors que, dans le même temps, le faire et le rayonnement de l’artefact sont inséparables de cette rationalité résolue dont l’art veut s’affranchir. », aphorisme N° 145.
[4] Désormais dénommé LaM.
[5] « L’artiste a le pouvoir de réveiller la force d’agir qui sommeille dans d’autres âmes. », in Le Gai savoir.
[6] « La situation de l’artiste est humble. Il est essentiellement un canal. »
[7] In Subjectiles III, éditions Le Manuscrit.