Exposition





Dessin : violences et passions du papier

Présentation de l’exposition organisée à la Gallery 604, Busan, Corée-du-Sud, en mai-juin 2018

Dessin – Dessein

Le dessin contemporain s’est progressivement affranchi de la notion de trait pour englober toute une série de pratiques dans lesquelles le crayon et la ligne peuvent parfois être absents. Ce qui définit, aujourd’hui, le dessin, dans l’esprit de beaucoup de personnes, c’est l’utilisation du papier comme support. C’est, du moins, ce que l’on pourrait retenir de la visite des allées et des cimaises des salons de dessins qui, depuis quelques années, fleurissent un peu partout. Une étude plus approfondie de la longue histoire du dessin nous amène à considérer une définition quelque peu différente, mettant en avant deux caractéristiques plus essentielles, déjà présentes dans le récit de la légende originelle de la fille du potier corinthien Butadès qui traça à la craie, sur un mur, la silhouette de son fiancé partant pour la guerre, puis remplit la forme de terre qu’elle fit cuire pour en pérenniser l’effigie. Historiquement, le dessin est intermédiaire, en ce qu’il ne constitue qu’une étape transitoire, certes décisive, dans le processus d’élaboration d’une œuvre plus noble, présentable, non sujette à l’éphémère. Il contribue à un projet. Il est projet. L’histoire ne pouvant être que triste, le jeune soldat meurt à la guerre. Le dessin devient alors mémorial, en ce que l’amoureuse éplorée n’aura plus que l’effigie en terre cuite, le produit du dessein-dessin, pour se remémorer les traits du disparu. Le dessin a donc contribué à créer ce qui subsiste, la relique, au sens étymologique de ce terme, de quelque chose qui a existé et qui n’est plus. Le dessin devient un substitut, par défaut, à ce qui n’est plus accessible. Et si le dessin venait à disparaître[1], c’est plus sa mémoire que celle de l’objet initial qui suppléerait à l’objet disparu. Quelles que soient les définitions que l’on retiendra, il n’en reste pas moins que le dessin continue à remplir, comme depuis des siècles, ces deux fonctions fondamentales qui le définissent plus et mieux que le simple recours au papier en tant que subjectile. Il est intermédiaire et mémorial.

    Pour les cinq artistes présentés – Dominique De Beir, Claude Cattelain, Aristide Bianchi, Frédéric Messager et Patrice Pantin –, la fonction mémoriale se concentre sur le dessin lui-même, sur la démarche de son élaboration. Elle témoigne avant tout d’un processus générateur, recourant à une violence plus ou moins extériorisée qui s’attaque au papier, le fait « souffrir ». Le dessin est, chez eux, à la fois entreprise agressive, transgressive, mise en œuvre en un véritable corps à corps avec le papier et résulte de cette action, une véritable passion au sens originel[2] premier de ce mot.

    Cependant, des actions destructrices mises en œuvre par nos cinq artistes naît une forme nouvelle, transfigurée, auréatique[3], qui élève le support de son statut de surface passive à celui d’œuvre d’art. Chez eux, le dessin est aussi intermédiaire, dans une démarche qui va d’une intention – d’un projet – vers un produit fini dont l’apparence finale se joue souvent de la définition traditionnelle du dessin. Leurs travaux et leurs démarches s’inscrivent donc pleinement dans le modèle que nous avons développé dans notre propos liminaire. L’intermédiation y joue un rôle très spécifique, focalisé sur la chaîne qui va du papier, matière première, au produit final, le projet matérialisé en dessin. Ces artistes contribuent, à leur façon, à façonner l’histoire récente de ce mode d’expression en y apportant des attitudes, des processus et des modes opératoires très personnels et cependant fortement ancrés dans le monde contemporain. Si le papier joue, chez eux, un rôle important en étant leur support d’expression prédilectif – mais non exclusif –, il n’est pas fin en soi, mais seulement moyen, intermédiaire, truchement. Leur préoccupation première, leur point de départ, est le dessin – et le dessein –, à la fois matière première et produit de comportements qui oscillent continuellement entre douceur et violence, entre réflexion et passion, entre tendresse et brutalité. C’est aussi, il ne faut pas se voiler la face, l’enjeu d’un débat ontologique, dans lequel le papier, de secondaire, vecteur d’un dessein qui le dépasse, (sup)porte le dessin, contribue à sa matérialisation, puis s’active pour devenir artefact, œuvre, traduction ultime du propos de l’artiste. Il s’agit, ici, d’un processus de matérialisation, d’incarnation, dans lequel le papier, de passif, devient agent, puis porte-parole du créateur. Soumis à l’œil et à l’imagination du spectateur, observateur extérieur invité, comme par effraction, à constater le résultat d’un long et lent processus auquel il n’a pas été convié, l’œuvre vit alors d’une nouvelle vie, prend du sens, s’affranchit de son créateur, en devient l’égal ou le surpasse. Car, si pour Baudelaire, « le dessin est une lutte entre la nature et l’artiste » il ne faut pas oublier le propos de Degas : « le dessin n’est pas la forme, il est la manière de voir la forme. »

    Il y a donc, dans les propositions de nos cinq artistes, une évolution décisive dans la façon d’appréhender le dessin. Les fonctions qui lui sont traditionnellement dévolues – mémorial et intermédiaire – deviennent, chez eux, autoréflexives. Elles s’appliquent de façon quasi exclusive au dessin lui-même, à sa matière première, le papier, et au processus de son élaboration. Chez eux, le dessin prend son autonomie, devenant simultanément sujet, objet et processus de transformation, fin en soi, libéré de toute considération autre que sa propre évidence.



Dominique de Beir perfore, frappe, griffe, épluche, retourne le papier, matériau simultanément résistant et fragile. Elle le prépare minutieusement, puis le meurtrit, essayant de le réveiller, de le révéler, pour en matérialiser l’épaisseur et faire prendre conscience de l’existence d’un arrière habituellement inaccessible. Elle s’attaque à divers types de support, des feuilles vierges ou paraffinées, mais aussi des matériaux de récupération : papier carbone, boîte en carton… Elle les agresse, des mains ou des pieds, avec des outils qu’elle conçoit – ou récupère – spécifiquement pour chaque série d’œuvres. Elle en donne une énumération qui reste partielle : « semelles de bois traversées de clous, tridents, bistouris, scalpels ; perforer, creuser, éplucher, découper, prolonger de la main, déformer le pied. » Si ces outils suggèrent la violence, tout reste cependant sous contrôle car il s’agit, avant tout, de traverser la feuille pour en révéler ou suggérer l’épaisseur, le revers, d’où surgit ou sourd une couleur autre, tendre ou agressive, du miel ou du sang… Préciosité ou brutalité… Le résultat peut évoquer un ciel d’été étoilé, l’atlas d’un continent insoupçonné, des vitraux improbables, des écritures indéchiffrables, la carte de programmation d’un orgue limonaire… L’œil et l’acuité de la vision – le regard perçant, au sens propre et figuré – sont au centre du propos de l’artiste. Elle évoque volontiers le début de sa pratique dans son apprentissage du braille, en 1994. On ne peut, devant son travail, s’empêcher de penser aux phobies de l’énucléation – le regard perçant devenu percé – et à la symbolique sexuelle de l’œil, telle que Georges Bataille la développa dans son Histoire de l’œil, illustrée par Hans Bellmer.

    Claude Cattelain dessine avec le feu. Ses Dessins combustions sont, selon lui, les reliques d’» un exercice fébrile, long, tendu. » Seul, nu, couché sur une grande feuille de papier, il trace, sur le support, le contour de son corps à l’aide de la flamme de longues allumettes. La silhouette de l’artiste devient poncif, le feu simultanément ardente mine de plomb et ponce. La flamme, qui suit le tracé du corps au plus près, peut à chaque instant, le brûler et y laisser des stigmates. Elle marque le papier de son empreinte : cicatrice, brûlure plus ou moins nette, à la limite de la perforation, ou simple trace de suie. Le phénomène de combustion interne du papier peut durer quelques jours après l’exercice, jusqu’à ce qu’il se stabilise et donne au dessin son aspect définitif. L’artiste doit bouger pour que l’allumette enflammée suive les moindres contours de son anatomie. Ses mouvements ont pour effet de produire plusieurs silhouettes superposées – un peu à la façon des œuvres de certains futuristes – mais jouent aussi le rôle d’estompe, diluant la rigueur de certains traits pour créer des zones ombrées. Le papier et le corps de l’artiste s’exposent au même risque de brûlure, dans un processus fusionnel, sans exhibitionnisme, dans lequel l’artiste, ses outils et le papier sont également sacrificateur et sacrifié. Pas de spectateur, cependant, pour ce sacrifice en huis-clos, et pas de trace vidéo de son déroulement. Nous sommes dans le domaine du cérémonial privé, ce qui reste, avouons-le, assez paradoxal pour un artiste surtout connu pour ses performances publiques et pour ses vidéos de performances privées qui constituent des sortes de petites liturgies profanes et, souvent, dérisoires.

    Aristide Bianchi dépèce le papier. Il dessine, sur les deux faces d’une grande feuille, des lignes, des traits, à l’encre de Chine, au crayon ou à la peinture, puis la sépare en l’attaquant, au cutter, dans son épaisseur. Il laisse cependant indemne une bande, plus ou moins large, qui servira de charnière, d’articulation, lors de l’» ouverture » de la feuille. D’un recto et d’un verso résultent alors un nouveau recto – la juxtaposition du recto et du verso de la feuille initiale – et un nouveau verso, tiré des entrailles du papier. Même si l’artiste s’en défend, le choix des « charnières » et le processus d’ouverture rendent difficilement identifiable la structure initiale de la feuille. Certains résultats évoquent la rigueur toute cistercienne d’un Martin Barré, d’autres Mark Rothko, d’autres encore, plus débridés, les pattern paintings de Frank Stella… La texture du papier dédoublé laisse percevoir des zones où l’épaisseur est devenue si fine qu’il en devient presque transparent, translucide. Ailleurs, de vagues ondulations laissent deviner le sens du travail du scalpel et les irrégularités du grammage résultant de la séparation des faces. L’artiste matérialise ainsi l’épaisseur de l’inframince[4] de la feuille.

    Frédéric Messager macule, déchire, lacère et froisse le papier. Il part de larges feuilles issues de rouleaux de papier sur lesquelles il dessine, au feutre et à l’encre de Chine, des petits paysages abstraits, des mises en scène de rêves inédits. Depuis 2015, il nourrit son travail graphique par un procédé numérique imprimé au traceur. Sur ces surfaces, il répand des nappes d’encre de Chine et/ou d’aquarelle, dirigeant et contrôlant l’écoulement par des gestes amples et mesurés. Ces nappages recouvrent partiellement les motifs, ratures, traits colorés et pixélisés, bandes de couleurs saturées… Le premier temps, celui du dessin à la pointe d’un outil traditionnel ou numérique est lent, patient et laborieux. Sa démarche est à la fois gestuelle et quelque peu japonisante. Ce sont, pour lui, des paysages qu’il « développe dans une approche utopique où s’affiche l’instant de la création, sous une forme d’abandon à la production de traces, formes, signes, en tenant compte des hasards ou des déterminations qui interviennent dans la dynamique de l’exécution du dessin. » Dans un second temps, il replie le dessin sur lui-même pour l’ouvrir et faire surgir ce qui est enseveli. Maintenu par des sangles et des pinces de dessin, la feuille se met en forme en des volumes informes. Puis il attaque le support, le froisse, le déchire à la main ou à coups de scie, lacère les formes ainsi obtenues, va rechercher, par excavation, ce qui est caché. L’intérieur se révèle par des brèches, par des béances presque obscènes. Devenu démiurge, l’artiste, dans un même mouvement, crée de toutes pièces sa créature puis l’éventre pour en révéler les viscères. Amour vache, amour destructeur, du créateur pour son propre ouvrage. Pygmalion assassinant sauvagement sa Galatée… Malgré toute cette violence latente, le résultat est souvent séduisant, évoquant la céramique, dans une sorte de trompe-les-sens qui se joue du spectateur et de sa perception de la pesanteur.

    Patrice Pantin lacère, chauffe et macule le papier. Son matériel de base est un papier couché mat. Il commence par couvrir la feuille de ruban adhésif transparent sur toute sa surface. Armé d’un cutter ou d’un scalpel, il incise profondément et minutieusement la couche protectrice, scarifiant la chair du papier sans la percer. Il dessine ainsi en creux, des sillons ondoyants, drus, serrés, sur toute la plage picturale. Ensuite, muni d’un chalumeau, dans un geste plus ou moins lent, il caresse de la flamme le support qui réagit alors par rétractation parcellaire. Dans une troisième phase il gorge l’ensemble d’encre blanche, noire, sépia. La couleur pénètre les sillons scarifiés et diffuse partiellement sous les zones découvertes du papier. L’encre sèche et coagule. Un réseau d’artères de veines et de veinules apparaît au cœur de la surface finalement dépouillée de l’adhésif qui se desquame en fins lambeaux. Cicatrices, rides ou sillons créés par un consciencieux laboureur de champs picturaux ? À l’instar des pliures dans les dernières œuvres de Simon Hantaï, les zones en réserve des scarifications jouent un rôle essentiel pour faire surgir, capter et réfléchir la lumière. L’œuvre dévoilée – révélée dans une sorte d’épiphanie – se manifeste comme une carte géographique ou céleste, un relevé topographique ou météorologique avec ses isohypses ou isobares, une juxtaposition de fils dans une arachnéenne tapisserie, une chair écorchée… Le contraste est stupéfiant entre le calme, la simplicité apparente des œuvres résultantes et la brutale complexité du processus qui leur a donné naissance. Tant d’énergie canalisée, dans un lent et patient supplice, pour créer ces inoubliables plages de méditation.



Nos cinq artistes, au-delà du partage d’une pratique transgressive à l’encontre du papier, se retrouvent autour d’un certain nombre de points communs. Tout d’abord, leur démarche est encadrée par un processus rigoureux, souvent complexe, toujours précis, prenant parfois la forme d’un rituel, qui implique, le plus souvent, un corps à corps de l’artiste avec son œuvre. Ce processus est long, patient, s’appuyant sur un outillage spécifique et une succession immuable d’étapes prédéfinies. Il est souvent corporel et engage, de façon consciente ou non, une identification fusionnelle de l’artiste avec son support. Mais la technique d’élaboration, aussi complexe soit-elle, disparaît derrière l’œuvre réalisée : il n’est aucun besoin de comprendre la méthode de réalisation pour en apprécier les qualités formelles et plastiques. Enfin, une violence, latente ou exprimée, nourrit le geste générateur de l’œuvre mais reste toujours contenue et sous le contrôle de l’artiste, du moins dans la phase terminale du processus.

    On relèvera aussi, chez eux, une volonté partagée, bien que recourant à des techniques diverses et contrastées, de révéler, de manifester, l’autre côté de la feuille, la face cachée du papier, l’arrière du dessin, mais aussi son épaisseur. Chez eux, trouer, lacérer, déchirer, brûler ou dépecer le support permet d’en matérialiser la consistance, sa troisième dimension, habituellement négligée, déplaçant ainsi le propos de la surface de la feuille vers ses entrailles. Il ne faut surtout pas voir dans ces travaux une allégorie, une glorification ou une condamnation de la cruauté de notre société. Il y a, en effet, chez la plupart de ces artistes, une forme de légèreté, de mesure, de raréfaction, de contrôle du geste, qui témoignent d’un certain apaisement, d’un apaisement sans résignation, d’un apaisement qui peut s’appuyer sur une forme de transgression. Réconciliation, sans cesse renouvelée, de la cruauté brutale et de la patiente légèreté… Le papier se mue en peau humaine, support de stigmates infligés par l’artiste mais aussi subis par lui-même, dans une forme de fusion-identification – au premier degré chez Claude Cattelain, plus métaphorique chez les autres –, de va-et-vient incessant, entre l’artiste et son œuvre. L’artiste écorcheur, dépeceur, perforateur, lacérateur, brûleur, maculateur… se retrouve ainsi lui-même écorché, dépecé, perforé, lacéré, brûlé, maculé… par sa propre démarche. Simultanément victime et bourreau. Sismographes hypersensibles, nos cinq artistes se font écho des moindres signes de la violence latente de notre monde. Ils la canalisent, la font leur, puis la transfigurent pour nous livrer des œuvres qui ne sont, in fine, que des reflets de notre propre inhumanité.

    Mais ce qui importe encore plus, dans notre propos, et qui réunit ces cinq artistes en une famille singulière et unique, c’est que, sous leurs mains, le dessin – préexistant ou simple dessein (pré)conceptualisé – et son support – bien matériel, lui – deviennent des éléments à part entière de l’œuvre, se font œuvre. Les moteurs de la transformation, ce sont l’artiste et son comportement, tout empreint de son expérience personnelle, unique et souvent insolite. Sans vouloir plagier Harald Szeeman[5], chez nos cinq créateurs, ce sont surtout les attitudes qui font le dessin. L’artiste, sa posture, le processus qu’il met en œuvre et le dessein-dessin deviennent les intermédiaires entre l’idée et l’artefact. Chez Dominique De Beir, le dessin est pur résultat du processus, il ne préexiste pas, si ce n’est dans l’esprit de la créatrice. Dans la démarche de Claude Cattelain le dessin est initialement le corps de l’artiste, qui devient image démultipliée, matérialisation d’un autre corps, mouvant, pluriel et insaisissable. Aristide Bianchi commence par dessiner sur les deux faces d’une feuille, puis, par un long et patient exercice, en révèle l’envers – qui est aussi, à sa façon, un endroit –, tout en restant dans une stricte planéité. Frédéric Messager dessine de façon presque conventionnelle, puis, dans des gestes rageurs, confère une troisième dimension à ses tracés plans. Patrice Pantin fait surgir le dessin de sillons gorgés de couleurs, résultat d’un long et fastidieux labeur qui l’apparente à un laboureur de champs picturaux.

    Dessin – dans une approche autoréflexive des fonctions de mémorial et d’intermédiaire–, violence, passion… C’est cette trilogie qui fait l’originalité de ces cinq artistes, simultanément héritière de la tradition pluriséculaire du dessin et agissant dans un présent, bien concret et difficilement négligeable, qu’ils s’approprient, font leur, intègrent, assimilent, transforment et restituent de façon à nous interpeller au plus profond de nos sensibilités et de nos consciences. Ils nous apportent la preuve que le papier peut être autre chose qu’un support plan et passif, qu’il peut devenir un matériau à part entière se déclinant sous les formes les plus variées.

    Peut-être faut-il aussi saisir cette occasion, pour que nous, spectateurs, revisitions ce qu’est un dessin, dans son acception pleine et entière. Nos artistes nous démontrent de façon magistrale que ce peut être autre chose que des traits sur une feuille, autre chose qu’une œuvre qui prend le papier pour support. Le dessin, tel qu’ils le conçoivent et le mettent en pratique, s’affranchit des contraintes dans lesquelles il a été longtemps maintenu. Ils relisent et réécrivent, chacun à sa façon, leur propre version de l’histoire passée, présente et future du dessin et du papier. Ils enrôlent, engagent, anoblissent le papier, lui donnent de l’épaisseur, du volume, le dédoublent, le démultiplient, le muent en un champ d’actions et d’expérimentations, impliquant, dans des jeux de transfert subtils et diversifiés, tout à la fois le créateur et le spectateur de l’œuvre résultante.

Louis Doucet, décembre 2017



[1] Involontairement, le plus souvent, mais cela peut aussi être volontaire, par iconoclasme, par exemple, ou comme Robert Rauschenberg effaçant un dessin de Willem De Kooning.
[2] Simultanément l’action de souffrir et le résultat de cette action.
[3] Voir Walter Benjamin in L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique.
[4] Notion duchampienne.
[5] Dans sa célèbre et, alors, très controversée exposition When attitudes become form: live in your head, organisée à la Kunsthalle de Berne en 1969.